Sur le Rhombe Magique

Cette Note sur le Rhombe Magique se trouve à la fin d’une traduction de L’Histoire, de l’auteur grec Thucydide, par Pierre-Charles Levesque, publiée en 1795. Elle fait partie d’un petit groupe de textes intitulés « Excursions » qui semblent être de la plume du traducteur, bien que l’ouvrage ne le précise pas.

J’indique entre crochets mes propres ajouts. Je tiens à préciser que mon grec est un peu rouillé et celui du document n’est pas toujours lisible ; autant que possible, j’ai retrouvé les citations et leurs traductions ; j’espère que les lecteurs ne s’offusqueront pas des lacunes et d’éventuelles erreurs.

*

Χὡς δινεῖθ᾽ ὅδε ῥόμβος ὁ χάλκεος ἐξ Ἀφροδίτας,


ὣς τῆνος δινοῖτο ποθ᾽ ἁμετέραισι θύραισιν


Ἶυγξ, ἕλκε τὺ τῆνον ἐμὸν ποτὶ δῶμα τὸν ἄνδρα

Théocrite Idylle II, vers 30

« Comme je fais tourner ce rhombe d’airain, que de même, par la puissance de Vénus, Delphis vienne tourner au tour de ma maison. Iynx, ramène près de moi celui que j’aime ».

Le mot Iynx signifie quelquefois simplement un charme ; mais dans son sens propre, il signifie l’oiseau que nous nommons bergeronnette ou Hochequeue. Le mouvement, en apparence lascif, que la bergeronnette imprime à sa queue, a fait croire aux anciens que cet oiseau, qui paraît si sensible à l’amour, devait être le plus puissant des charmes amoureux. C’est Vénus qui, la première, suivant Pindare, voulant favoriser Jason, et lui procurer le secours de Médée, apporta aux mortels cet oiseau toujours tourmenté des fureurs de l’amour. Le scholiaste nous apprend que les vers du poète lyrique se lisaient de deux manières différentes, et pouvaient ainsi recevoir deux interprétations. Rapportons d’abord les vers, nous écouterons ensuite l’interprète.

Πότνια δ᾽ ὀξυτάτων βελέων

ποικίλαν ἴϋγγα τετράκναμον Οὐλυμπόθεν

ἐν ἀλύτῳ ζεύξαισα κύκλῳ

μαινάδ᾽ ὄρνιν Κυπρογένεια φέρεν

πρῶτον ἀνθρώποισι

Pyth. IV, v. 380.

[Alors la déesse aux flèches acérées, Cyprine, ayant attaché une bergerette aux mille couleurs sur les quatre rayons d’une roue inébranlable, apporta de l’Olympe aux mortels cet oiseau du délire]

« Les magiciennes, dit le scholiaste, attachent l’iynx à une roue qu’elles font tourner en chantant leurs vers magiques. Quelques-uns disent qu’elles tirent les entrailles de cet oiseau et les attachent à une roue. Il faut entendre au figuré le mot  τετράκναμον ; il désigne les ailes et les jambes de la bergeronnette, qui, par analogie, sont nommées κνημαι. L’oiseau n’est pas attaché à une roue à quatre rayons, mais il est lié en haut par les deux ailes et en bas par les deux pattes. Cependant quelques-uns ont lu τετράκναμον avec une apostrophe, en le rapportant à κύκλῳ, ce qui signifie alors une roue à quatre rayons »

En suivant la première interprétation rapportée par le scholiaste, et lisant τετράκναμον, accusatif de τετράκναμος, ou même τετράκναμον’, c’est-à-dire τετρακναμoνα, accusatif de τετράκναμων, le mot κύκλος signifie le rhombe, la roue à quatre rayons. Apollonius de Rhodes attribue l’invention du rhombe à Orphée, qui en fit usage pour détourner la fureur des vents dans la navigation des Argonautes. C’est de là, dit ce poète, que les Phrygiens se servent toujours du rhombe et du tambour pour apaiser Rhéa.

Ἔνθεν ἐσαιεὶ ῥόμβῳ καὶ τυπάνῳ Ῥείην Φρύγες ἱλάσκονται.

Livre I, v. 1138

[De là vient que les Phrygiens, encore aujourd’hui, se rendent Rhéa propice par le son du rhombe et du tympan.]

Le chantre des Argonautes s’accorde ici en un point avec Pindare, en ce qu’il rapporte l’origine du rhombe au temps de l’expédition de la Colchide. Martial croit aussi que ce fut dans la Colchide que le rhombe fut inventé :

Cum secta Cholcho luna vapulat rhombo.

[Lorsque la lune est coupée par le tambour de la Colchide]

Il est vrai que, dans un autre endroit, il le nomme thessalien : mais ce n’est pas pour signifier qu’il fut inventé en Thessalie ; il veut exprimer seulement que les Thessaliennes, plus attachées que les femmes d’aucune autre contrée à la magie, en faisaient plus généralement usage. Suivant Pindare et son scholiaste, on peut croire que le rhombe était une roue. Passerat, copié par Volpi, dit, dans son commentaire sur ce vers de Properce :

Deficiunt magico torti sub carmine rhombi.

  1. II, el. 28.

[Les enchantements de ce rhombe magique tournoyant sont impuissants]

Que le rhombe était un dévidoir ou le rouet à filer. Les vers suivants d’Ovide peuvent s’accorder avec cette interprétation ; mais ils ne l’exigent pas :

Scit bene, quid gramen, quid torto concita rhombo Licia, quid valeat virus amantis equae.

Amor., L. I, el 8, v. 7.

[Elle connaît la vertu des plantes, celle du lin roulé autour du rhombe, et celle des traces laissées par l’ardente cavale.]

Ce qui peut empêcher de croire qu’il s’agisse ici du rouet, c’est qu’il est peut-être impossible de montrer, soit par des passages des anciens, soit par des monuments antiques, que les femmes grecques aient connu cet ustensile. Il serait encore plus difficile de croire qu’il ait été connu dans cette hante antiquité, à laquelle doit remonter l’origine du rhombe. C’est encore au fuseau que filent aujourd’hui les femmes grecques. La savante Dacier voyant une autre femme filer au rouet, lui dit d’un air mécontent : « Les anciens n’ont jamais filé qu’à la quenouille » (Eloge de Boileau par d’Alembert). Mais on peut soupçonner que les Grecs ont connu le dévidoir.

Des autorités trop nombreuses pour que nous puissions les rapporter toutes, prouvent que c’était en faisant tourner le rhombe, qu’on lui imprimait sa vertu :

Nous nous contenterons de citer le scholiaste de Pindare et celui d’Apollonius. Le mot ῥόμβος témoigne assez lui-même : il dérive de ῥεμβω, ῥόμβεω, faire tourner.

On trouve le verbe επορρόμβεω dans le scholiaste de Pindare : il est de la foule des mots qui n’ont pas été recueillis par les lexicographes.

On ne manquerait pas non plus d’autorités pour soutenir que les magiciennes, peu recherchées dans le choix de leurs instruments, faisaient un rhombe de tout ce qui pouvait se tourner aisément. Pourquoi, si elles connaissaient le dévidoir, ne l’auraient-elles pas consacré à cet usage, puisqu’elles y consacraient bien le fuseau ? Ne croyait-on pas, du temps de Pline, dans la plupart des villages d’Italie, que, par le moyeu du fuseau, on pouvait détruire l’espérance des laboureurs, et ne vit-on pas des législateurs, aussi superstitieux que le peuple, défendre aux femmes de tourner le fuseau sur les chemins, et même de le porter à découvert ?

Pagana lege in plerisque Italiae praediis, cavetur, ne mulieres, per itinera ambulantes, torqueant fusos, aut omnino detectos ferant, quoniam adversetur id omnium spei, praecipueque frugum.

Plin., L. XXVIII, c. 2

[Une loi rurale observée dans la plupart des métairies de l’Italie défend aux femmes en marchant dans la campagne de tourner leurs fuseaux, ou même de les porter découverts, parce que c’est contraire à toute chose espérée, et particulièrement aux moissons.]

Un peloton d’étoupes, entouré de fil, devenait quelquefois un rhombe magique :

Non me moribus illa, sed herbis, improba vicit :

Staminea rhombi ducitur ille rota.

Prop., L. III, el 5.

 [Non par elle-même, mais par les herbes, cette garce a triomphé, en manipulant la roue garnie de fils du rhombe.]

Béroalde dit sur ce vers : rhombus, instrumentum est magicum, quod, tortis filis confectum, pollet ad artem magicam exercendam. [Le rhombe est un outil magique, fait de fils enroulés. Il sert à exercer l’art de la magie]

On pourrait prouver, par un grand nombre exemples, que, chez les Romains, le rhombe devait être entouré de fils, quand du moins les magiciennes en faisaient usage pour lier les hommes par les nœuds de l’amour. Il suffira de citer ici Virgile :

Terna tibi haec primum triplici diversa colore

Licia circumdo…

Necte tribus nodis ternos , Amarylli, colores,

Necte, Amarylli, modo, et Veneris, die, vincula necto.

Eglog. 8.

[Je commence par entourer ton image de trois bandelettes de trois couleurs différentes… Amaryllis, serre de trois nœuds ces bandelettes de trois couleurs ; Amaryllis, serre-les à l’instant, et dis : « Je noue les liens de Vénus. »]

Servius, sur ces vers, observe que ces trois différentes couleurs indiquées par Virgile, étaient le blanc, le rose et le noir : Tria alba, tria rosea, tria nigra. Je ne vois pas d’exemple de cet usage chez les Grecs.

Les passages des auteurs latins que nous venons de citer, montrent bien que certaines magiciennes, ou plutôt de misérables sorcières faisaient un rhombe magique de leur fuseau, d’une pelote de fil : mais ils ne détruisent pas d’autres passages d’auteurs grecs, qui prouvent que le véritable rhombe était d’airain, comme le dit Théocrite : Χὡς δινεῖθ᾽ ὅδε ῥόμβος ὁ χάλκεος [comme je fais tourner ce rhombe d’airain], et qu’il retentissait en tournant, comme l’ajoute le même poète : το χάλκιον ὡς ταχος αγες [Je fais tourner rapidement le rhombe d’airain].

Ce ne fut ni avec un dévidoir, ni avec une pelote ou un fuseau, qu’Orphée détourna les tempêtes : ce n’était ni avec un fuseau ni avec un peloton que les Phrygiens apaisaient la déesse Rhéa. Le scholiaste d’Apollonius de Rhodes dit que, pour faire tourner le rhombe, et le faire retentir, on le frappait avec des courroies :

ον στρεφουσεν ομασι τυπτοντες, και ουθως χτυπον αποτελουσι [Je suis très incertaine de la transcription de ce passage et je n’ai pas trouvé de traduction. Il est question de faire tourner quelque chose avec un bâton.]

On trouve les mêmes détails, presque dans les mêmes termes, dans l’Etymologicum Magnum, et dans Eustathe sur le premier livre de l’Odyssée, (tome III, p. 1387). Le soin qu’ont eu la plupart des auteurs de faire mention du retentissement de l’airain, doit faire croire que ce retentissement n’était pas inutile à l’accomplissement du mystère. On a donc lieu de conjecturer que le rhombe, qu’elle que fût sa forme, était creux car, s’il eût été d’airain massif, il aurait été difficile de le faire tourner, et impossible de le faire résonner.

Eusstathe, le scholiaste d’Apollonius et celui de Théocrite, expliquent le mot ῥόμβος par τροχισκος, petite roue. Suivant Suidas, la forme du rhombe était cylindrique ; ῥόμβος κύλινδρων. Psellus, sur un passage des Oracula Chaldaïca, lui donne une figure sphérique, et nous apprends qu’il était quelquefois d’une grande richesse. C’était, suivant lui, une boule d’or, au milieu de laquelle était enchassé un saphir, et à l’entour étaient gravés des caractères mystérieux. D’accord avec le scholiaste d’Apollonius, Eustathe et l’auteur de l’Etymologicum Magnum, il ajoute qu’on le faisait tourner en le frappant avec une lanière de cuir de boeuf. Suivant lui, tous les rhombes n’étaient pas sphériques ; il y en avait de triangulaires et de plusieurs autres figures. Il appelle le rhombe εκατινος στρόφαλος parce qu’il était consacré à Hécate. (page 96) .

C’est du rhombe que parle Horace dans ces vers à Canilie :

Canilia, parce vocibus tandem sacris,

Citumque retro volve, volve turbinem.

Epod., 17.

[Canidie, ne fais plus entendre de paroles magiques, et tourne en arrière ce cercle aux tourbillons si rapides]

Ce dernier vers donne lieu à deux observations. La première, est qu’en faisant tourner le rhombe du côté opposé au mouvement qu’on lui avait d’abord imprimé, on détruisait l’enchantement. La seconde, est que le nom turbo, donné ici au rhombe, est celui que portait aussi le jouet que nous nommons toupie ou sabot. Virgile dit, en parlant de Lavinie :

Tum vero infelix, ingentibus excita monstris,

Immensam, sine more, furit lymphata per urbem ;

Ceu quondam, torto volitans sub verbere, turbo

Quem pueri, magno in gyro, vacua atria circum,

Intenti ludo exercent : ille actus habenâ,

Curvatis fertur spatiis.

Aeneïd. L. VII, v. 376.

[La malheureuse, excitée par ces monstres puissants, en plein délire, sans retenue, court comme une furie à travers l’immense cité. Ainsi parfois une toupie, qui tourbillonne sous le coup qui l’entraîne quand des enfants, absorbés par leur jeu, la font tourner près d’un atrium désert en l’activant avec une lanière]

De ce nom donné au rhombe, on peut inférer qu’il avait quelquefois la forme du jouet nommé sabot. C’est ce que me paraissent confirmer le scholiaste d’Apollonius de Rhodes, Eustathe, et l’auteur de l’Etymologicum Magnum en disant qu’on le faisait tourner en le frappant avec une courroie ainsi que nos enfants font tourner un sabot. Hésychius explique le mot ῥόμβος par  δινος, turbo. Ce qui fortifie cette conjecture, car dans le δινος, le tourbillon, élève la poussière et quelquefois l’eau de la mer en forme de cylindre qui s’élève vers le ciel et qui se termine en pointe vers sa partie inférieure . Ce phénomène n’était pas inconnu des Grecs, puisqu’il n’est pas rare dans quelques parties de la Méditerranée voisines de la Grèce. Ce qui prouve qu’ils avaient cette idée du tourbillon, δινος, c’est qu’ils donnaient, comme l’observe le scholiaste d’Aristophane, le même nom à un vase de terre, large par le haut et se terminant en pointe par le bas :

δινος κεραμουν βαθύ ποτηριον, οπερ ανω ευρυτερον ον, κάτω εις οξυ ληγει

 (Schol . Aristoph., ad V. 379 Nub.)

[Je n’ai pas trouvé la traduction de ce passage extrait des scholies de la pièce Les Nuées. Il semble y être question d’une poterie évasée en haut et plus étroite en bas]

La définition de ce vase s’accorde fort bien avec la forme du tourbillon et avec celle du sabot. Chabanon a donc bien saisi celle qu’avait autrefois le rhombe, quand, dans ses notes sur la seconde idylle de Théocrite, il a dit que c’était une toupie d’airain que l’on faisait tourner pendant l’enchantement.

Un passage de Clément d’Alexandrie rapproché d’un passage d’Apulée, me persuade que le véritable rhombe, celui qui était employé dans les mystères, et dont on faisait usage dans les cérémonies magiques, quand on n’était pas obligé de recourir à des moyens subsidiaires, ressemblait au jouet qu’on nomme sabot.

Clément raconte que, pendant que les Curètes dansaient en frappant sur leurs armes, les Titans s’approchèrent furtivement du petit Bacchus, le trompèrent en lui montrant des jouets, et le déchirèrent.

Il cite deux vers d’Orphée qui nous apprennent que le rhombe en faisait partie :

κῶνος καὶ ῥόμβος καὶ παίγνια καμπεσίγυια, μῆλά τε χρύσεα καλὰ παρ’ Ἑσπερίδων λιγυφώνων

[Ils lui donnèrent, nous dit-il, un sabot, un disque, d’autres objets d’amusement qui exercent le corps, des pommes d’or cueillies dans le jardin des Hespérides.]

Il ajoute que, dans les mystères de Bacchus, on montrait différents jouets, et il nomme entre autres le rhombe. (Admonit. ad gentes), Nous avons vu qu’Orphée, qui passait pour avoir inventé les mystères, était aussi regardé comme l’inventeur de la magie.

Pourquoi douterions-nous donc que le rhombe qu’il introduisit, suivant cette tradition, dans les mystères, fût le même dont il enseigna l’usage pour les opérations magiques, et dont nous avons vu qu’Apollonius de Rhodes lui attribue l’invention ? Le rhombe des mystères était un jouet ; celui des magiciennes en était un aussi. Apulée dit expressément que, dans les choses sacrées et mystérieuses, il y avait des jouets, et ces mêmes jouets servaient à des opérations magiques, puisque ses accusateurs, pour le convaincre de magie, lui reprochaient d’en conserver chez lui, bien, enveloppés dans du linge. Voici sa réponse :

Etiamme cuiquam mirum videri potest, cui sit ulla memoria religionis, hominem tot mysteriis Deum conscium, quaedam facrorum crepundia domi adservare, atque ea lineo texto involvere, quod purissimum est rebus divinis velamentum.

(Apologia pro se ipso prima).

[Quelqu’un peut-il encore trouver étonnant, s’il a les moindres notions religieuses, qu’un homme initié à tant de mystères sacrés conserve chez lui certains emblèmes de ces mêmes mystères ? qu’il leur donne pour enveloppe un tissu de lin, puisque l’on ne saurait en destiner de plus pur à voiler des objets divins ?]

La dimension du rhombe n’était pas fort considérable. Les sorcières le portaient caché dans leur sein et l’en tiraient au besoin. Mais pour lui donner toute son efficacité, il ne suffisait pas de le faire tourner, il fallait, prononcer en même temps des sons barbares et capables d’inspirer la terreur. C’est ce que nous apprend Lucien, dans son dialogue entre Mélisse et Bacchis :

[Une fois de plus, je n’ai pas pu transcrire le grec ni trouver le texte original, voici donc la traduction française du passage probablement cité, extrait des Dialogues des courtisanes :

« Puis, tirant une toupie de son sein, elle la fera tourner, et récitera son enchantement composé de plusieurs mots barbares qui font frémir. »]

Psellus dit que ces sons étaient inarticulés et semblables à des cris de bêtes. Le scholiaste de Pindare observe aussi que les magiciennes chantaient des vers magiques, en faisant tourner la roue à laquelle était attaché l’iynx, et Pindare dit que Vénus elle-même apprit à Jason les paroles mystérieuses qu’il devait prononcer pour donner au charme magique toute son efficacité.

λιτάς τ᾽ ἐπαοιδὰς ἐκδιδάσκησεν σοφὸν Αἰσονίδαν

Pyth. IV, v. 385.

[Elle enseigna au sage Esonide des prières et des enchantements]

Nous avons vu, dans la précédente Excursion, que presque tous les peuples qui ont exercé la magie, ont cru que les opérations de cet art exigeaient des instruments à-peu-près cylindriques et garnis d’airain ; que, dans les mystères de la déesse Cottys, on employait des tambours auxquels étaient attachées des lames d’airain ; qu’Orphée, dans le poème qui lui est faussement attribué se revêt d’une longue robe noire, et fait résonner l’airain pour consommer la cérémonie magique ; que les sorciers qui, dans la Grèce, se donnaient pour ses disciples avaient des espèces de tambours de basque ; que, depuis le Kamtchatka jusqu’au pays des Lapons, tous les peuples livrés à leurs vieilles superstitions croient avoir des sorciers, et que ces sorciers ont des tambours garnis de plaques d’airain ou de ferrailles, et qu’ils font tourner comme le rhombe ; qu’enfin, les sorciers qu’on nomme Bohémiens, que l’opinion commune fait sortir de l’Égypte, et à qui M. Grillman attribue une origine indienne, ont des tambours de basque garnis de plaques de cuivre. Ainsi l’erreur s’étend de nation en nation, et se propage de siècle en siècle, tandis que, trop souvent, la vérité expire dans son berceau.

On peut conjecturer que, par le mouvement circulaire du rhombe, les magiciens voulaient imiter le mouvement que les anciens attribuaient au ciel ; peut-être même croyaient-ils, par cette imitation, en imposer aux puissances célestes, et leur commander avec un empire irrésistible. Le faux Orphée, dans l’hymne à Uranus, dit :

Οικε θεῶν μακάρων, ῥόμβον διναισιν όδευων.

[ô Père universel, qui fais rouler la terre en cercle]

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