Esoterikos - Dernières paroles d’Anton Long [1] | Rat Holes

L’alchimie baeldracienne de l’Ordre des Neuf Angles

Commentaires introductifs du traducteur

Malgré sa conclusion en apparence assez sèche (« j’attends toujours des gens qu’ils découvrent certaines choses par eux-mêmes. »), l’entretien avec Anton Long traduit ci-dessous est riche d’enseignements pour celui qui est désireux de comprendre la nature de la Voie septuple, voire de s’y engager.

De multiples épreuves, tant physiques que morales attendent l’Adepte sinistre. Au nombre de ces dernières, celles qui ont été le plus largement abordées dans la littérature publique de l’Ordre des Neuf Angles (O9A/ONA) et en sont, d’un certain point de vue, emblématiques, même s’il y aurait beaucoup à dire sur cela, sont la pratique des Rôles-perspectives (Insight Roles[1] et celle de l’Abattage (Culling[2].

Superficiellement, ces pratiques présentent une double dimension : d’une part, sous certaines conditions, elles possèdent une efficacité éonique (elles servent la Dialectique sinistre) et, d’autre part, elles permettent de forger le caractère sinistre de celui qui s’y adonne. Si l’on écarte d’emblée la Perspective éonique qui dépasse largement le cadre de cette introduction et nécessite pour être comprise le recul et la hauteur de vue que seul un pathei-mathos porté à l’incandescence par une praxis sinistrement numineuse intensive permet d’atteindre et correspondant, dans une optique ésotérique/initiatique, au franchissement de l’Abîme, demeure la formation de la personnalité sinistre.

Comprise en ces termes pitoyablement psychologisants, la dimension personnelle des actions exéatiques n’apparaît finalement que comme une modalité pratique, une possibilité parmi d’autres au sein de ce marigot que constitue le « développement personnel », éventuellement un peu plus scabreuse – reste à prouver toutefois que se livrer au macramé en écoutant de la world music et en récitant des mantras sortis de leur contexte est une activité plus estimable que l’infliction de la souffrance et la mort à ses contemporains. Néanmoins, cette approche manque l’essentiel, à savoir que les expériences sinistres ne se limitent absolument pas à une quelconque auto-ingénierie psychique, mais constituent une opération alchimique visant à transformer très concrètement leur sujet en un autre être.

Anton Long évoque assez allusivement le Baeldraca dans le texte ci-dessous et pourtant, en totale cohérence avec le titre choisi pour sa publication (« Baeldraca – Vers la terreur acausale [3] »), il s’agit bien de l’élément central de son discours, celui qui éclaire toute la praxis sinistre attendue de l’Adepte angulaire. Pour mieux comprendre, cette notion/figure/entité, il est nécessaire de se reporter à un autre document [4], relativement méconnu des béotiens, qui synthétise la démarche ésotérique de l’O9A : « L’essence de notre Magick interne sinistre peut être résumée par la locution Copula Cum Daemone, entendue dans son sens littéral – l’union avec certaines entités acausales –, mais aussi métaphysique [5] (nourrir et libérer son propre Baeldraca intérieur pour s’unir avec lui), à savoir devenir un changelin sinistre, vivant dans le causal, toujours mortel donc. Cette fusion avec son Baeldraca débute avec le Rite de l’Initiation sinistre, se poursuit (s’alimente) au cours du cheminement qui mène à l’Adeptat externe, s’exprime lors du Rite de l’Adepte interne et devient union (ré-union) pleine et entière au moment du passage réussi de l’Abîme. »

Le Baeldraca, exotériquement assimilé au potentiel sinistre de l’individu, apparaît ici ésotériquement comme ce noyau d’énergie acausale qui anime tous les êtres vivants et qui, sous réserve de suivre, notamment (l’O9A n’a jamais prétendu que sa méthode était la seule à être efficace), la Voie septuple peut se développer et donner naissance à un nouvel être, produit de l’union de l’Acausal (le Baeldraca) et du causal (l’Individu « porteur »), manifestant les Ténèbres dans le monde – pour dire les choses plus simplement, l’individu approchant de l’aboutissement de son anados septénaire devient cet Homo Novus qui n’est rien d’autre qu’un nexion vivant. Sa nouvelle physis en fait un portail potentiel vers ce monde pour les Dieux sombres.

Sur ce sujet, dans Baeldraca – Vers la terreur acausale, Anton Long évoque également les effets similaires que produirait la collocation [6] de neuf nexions ouverts simultanément via le Rite des Neuf Angles. Il fait alors une remarque incidente sur « une fiction datant des débuts de l’ONA et décrivant la façon dont deux nexions, physiquement séparés, peuvent être utilisés. » Bien qu’en de tels domaines exprimer une certitude sans avoir personnellement expérimenté la réalité à laquelle elle est sensée correspondre – en l’occurrence, sans objectivement savoir de quel texte précis l’auteur parle – n’est qu’une détestable manifestation d’hubris, on pourrait y voir une référence, tout sauf anodine, à un autre Copula Cum Daemone, celui de 1978 (voir note n° 4 supra).

Selon Myatt [7], cette dernière nouvelle serait une allégorie de la naissance d’Hitler, et le lecteur pressé la rangera hâtivement avec toute une autre littérature ressassant la thématique du « ventre toujours fécond de la bête immonde [8] ». Dans un contexte angulaire, l’aspect ésotérique paraît cependant évident, que le Führer de l’Allemagne nazie soit envisagé comme un héraut de Vindex [9] voire qu’il soit désormais conçu comme le Nekhala appelé Fayen [10]. Si l’on établit alors le parallèle entre la mutation baeldracienne de l’Adepte, son Devenir-Nexion, et la création d’un supra-nexion grâce à la collocation de neuf autres nexions géographiquements séparés, on comprend que la praxis sinistre individuelle n’est pas seulement un complément ou une condition de l’action purement ésotérique/occulte, telle qu’elle se traduit dans l’accomplissement de rituels ou la manipulation éonique de certaines formes, mais qu’elle en est le reflet, microcosme et macrocosme se répondant parfaitement – quod est inferius est sicut quod est superius, et quod est superius est sicut quod est inferius [11]. Suivre la Voie septuple implique donc que les deux aspects sont indissociables et se nourrissent l’un l’autre [12].

Les choses étant ainsi présentées, le Baeldraca, malgré sa nature éminemment alchimique, pourrait toutefois être considéré comme l’un des éléments du mythos construit par l’O9A, éventuellement efficace d’un point de vue ésotérique, mais dépourvu d’assise historique et ne relevant pas de la Tradition primordiale transmise selon une chaîne initiatique régulière.

Là encore, Long répond en creux à cette objection lorsque, interrogé sur le caractère construit/artificiel de la Voie proposée par l’O9A, il passe presque totalement sous silence les autres visages de cette tradition pour ne souligner que le caractère ancestral et authentique de la Rounwytha. Or, le Baeldraca est effectivement au cœur de cette Voie, incarnation de la nature métamorphique des Rounwytha et de leur relation avec l’Acausal, de la façon qu’elles ont de le canaliser vers/de le faire surgir dans le causal : « Aux yeux de la masse, de l’Homo Hubris, nous sommes la manifestation d’un nexion hideux, c’est-à-dire d’une nouvelle espèce – orible dragones, baeldracas – qui émerge de la fosse reliant l’Enfer acausal au Paradis, d’abord ici, sur cette terra firma, puis dans les nouveaux mondes se situant parmi les étoiles de notre galaxie et au-delà. Un Enfer et un Paradis qui dormaient en nous depuis des siècles [13]. » Bien plus qu’un mythe mobilisateur ou une métaphore, le Baeldraca apparaît donc comme appartenant au noyau dur de la Voie septénaire dans ce qu’elle a de plus traditionnel, de plus dénué d’exotérisme ou de Forme – la Rounwytha.

Le Muliébral sinistre qui s’exprime chez la Rounwytha accomplie est par ailleurs intéressant à considérer en relation avec la question du Baeldraca. L’archétype féminin sénestre est notamment représenté par la Déesse sombre Baphomet dont le caractère métamorphique [14] la rapproche de celui d’un changelin, être auquel le Baeldraca est apparenté. Symétriquement, le caractère vampirique du Baeldraca – sur lequel insistent fortement certaines traditions drakoniques – se repaissant des Opfers, se retrouve également chez Baphomet [15]. Et Baphomet est une déesse sombre dont il est avéré qu’elle a arpenté le causal par le passé et le peut toujours si les rituels appropriés sont accomplis.

Pourtant, chez l’individu sinistre qui « cultive » son Baeldraca avant de s’unir avec lui, les caractères féminins et masculins tendent à se mêler : il est à la fois le principe fécondant (mâle), la forme fécondée (femelle, le Baeldraca non-encore développé du Néophyte sinistre [16]) et, si le processus est mené à son terme, le produit de leur union (le Baeldraca accompli et libéré, l’Homo Novus/Galacticus, l’Übermensch, etc.).

Un être acausal autre que Baphomet et intimement lié à cette dernière présente lui aussi de troublantes similitudes avec le Baeldraca, Satan. Ce dernier est aussi un métamorphe et une entité intervenant régulièrement dans le causal [17]. Il est l’amant de Baphomet.

Le processus d’avènement du Baeldraca dans/à travers l’Adepte sinistre serait en conséquence susceptible de se comprendre comme l’union de Baphomet et de Satan, et le comportement exéatique consisterait alors en la synthèse des archétypes baphométiques et sataniques. Il ne s’agit pas de devenir l’Homme-Dieu des satanistes mundanes qui n’est qu’une singerie du dieu des Nazaréens, mais de se comporter comme une Baphomet, comme un Satan [18] – d’être un Baeldraca dans le monde.

Dans cette Aufhebung de la dualité masculin/féminin, le lecteur sensibilisé à l’ésotérisme « classique » verra éventuellement un reflet du Baphomet androgyne d’Eliphas Levi. Sans préjuger du caractère opératif de cette analogie ni de sa valeur occulte, il convient de noter que cette figure est expressément rejetée par l’O9A : « L’image du Baphomet (chez Levi par exemple) comme figure hermaphrodite n’est qu’une vision déformée et/ou confuse de l’union, symbolique et réelle, de la Maîtresse et du Prêtre, avant le sacrifice de ce dernier. [19] »

Plus fécond dans un contexte angulaire est sans doute le recours à l’image de l’Arbre du Wyrd. Visuellement, ce dernier représente les sept sphères de l’anados sinistre-numineux auxquelles on rajoute habituellement une huitième (l’Abîme) et une neuvième (l’Arbre du Wyrd lui-même) sphères. Ces sphères sont autant de nexions. Selon une autre interprétation, les deux sphères non-représentées pourraient aussi symboliser les principes masculin et féminin. L’Arbre du Wyrd étant, entre autre, un arbre du Monde, le dépassement des genres accompli dans l’avènement du Baeldraca correspondrait alors, pour l’Adepte, à la réalisation complète de son anados – ce qui rejoint l’analogie faite plus haut – à la complétude de son Devenir-Nexion, faisant de lui l’image microcosmique (l’individu en tant que nexion vivant, physique) du macrocosme principiel représenté par l’Arbre du Wyrd, tout à la fois Nexion ω et α, équilibre du causal et de l’Acausal et interface parfaite – pur interrègne préalable à l’établissement d’un nouveau Regnum (les germanistes angulaires préféreront sans doute un autre terme, plus frappant) – entre les deux univers.

Ces quelques pistes qui ne mènent potentiellement nulle part ayant été tracées, laissons maintenant la parole au Magus.

*

Baeldraca – Vers la terreur acausale

On a eu l’impression, il y a un petit moment déjà, qu’il y avait des dissensions au sein de l’ONA ou, plus exactement, parmi ses associés, à propos de la direction que l’Ordre semblait prendre. Je pense plus particulièrement ici à la question des tribus sinistres et à l’afflux de jeunes cultivant une attitude de durs à cuire. Certaines personnes ont donné l’impression de « prendre parti » sur certains sujets et d’autres sont parties. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?

Comme je l’écrivais il n’y a pas si longtemps à un chercheur, « il n’y a que des apparences de conflit, mais pas de conflit réel ». En effet, d’un point de vue ésotérique, il s’agit, à de nombreux égards, comme cela a déjà été le cas par le passé et se reproduira probablement à l’avenir, à la fois d’une épreuve et d’un problème liés au mode de pensée causal d’une part et, d’autre part, d’une chance à saisir : un test de personnalité pour ceux qui sont concernés et une difficulté à surmonter par la compréhension acausale, notamment de la Perspective éonique. C’est l’occasion d’apprendre, de se dépasser et donc d’évoluer.

Considéré exotériquement, ce conflit prend sa source dans le culte de l’ego et de l’hubris – dans la personnalité de l’Homo Hubris – et donc dans le manque de réflexivité et d’auto-examen qui empoisonnent l’occultisme magien ainsi que ceux qui rejoignent l’ONA avec cet état d’esprit.

Pour parler plus simplement, soit on se laisse égarer (et donc personnellement affecter) par ces apparences de conflit, à la manière parfois de certaines personnes peu éclairées qui tendent à se comporter d’une façon plutôt sectaire et typiquement nazaréenne, soit on appréhende (ou, a minima, on commence à appréhender) les évènements de façon à dépasser les apparences causales éphémères.

En réalité, la plupart des gens estiment ou en viennent à croire que de tels conflits et les perturbations qui semblent souvent, si ce n’est toujours, en découler constituent une sorte d’échec pour l’ONA ou ceux qui s’y impliquent, au lieu d’y voir une défaillance de leur part (leur manque de réflexivité, de capacités ésotériques et d’honnêteté intellectuelle ; et probablement aussi, leur absence de tout savoir acausal). De ce fait, certains « perdent leurs illusions au sujet de l’ONA » ou sont déçus par des personnes (en nombre variable) qu’ils associent à l’ONA à un moment donné et partent, discrètement en général. Ils le font parfois aussi en rendant publiques leur démarche et leurs opinions.

Dans tous les cas, il ne s’agit que de leur échec, de leurs insuffisances propres, ésotériques comme personnelles. Bien sûr, ils n’en sont pas conscients, et ne peuvent encore moins le comprendre. S’ils en avaient la capacité, ils adopteraient cette praxis sinistre qui est l’essence de l’ONA pour produire en eux-mêmes le changement alchimique.

C’est pourquoi ni moi ni qui que ce soit de l’ONA intérieur ne se prononce, comme il ne l’a fait ni ne le fera jamais, sur de tels sujets, sur les personnes qu’ils concerneraient ou sur des notions magiennes comme le fait d’être « exclu » de l’ONA, de « réprouver » tels ou tels groupes ou organisations, etc. Ponctuellement, nous pouvons offrir nos conseils à ceux qui sont impliqués, sous réserve que nous les jugions prometteurs ou dignes de nos efforts. Souvent, ces conseils sont précédés d’une épreuve destinée à voir si les individus concernés sont capables de discerner l’intention qui se cache derrière le test et ont la perspicacité suffisante – le potentiel – pour comprendre justement qu’ils sont soumis à un test. Cette épreuve se présente à eux sous la forme d’une énigme dissimulée sous une tout autre apparence, et, dans la majorité des cas, ils se contentent de n’en voir et ressentir que les aspects les plus superficiels. Une méthode antique et éprouvée, qui est efficace – pour trier les rebuts.

Mais surtout, aucun individu, aucun groupe, de quelque taille que ce soit, indépendamment des compétences occultes « avancées » qu’il détiendrait dans ses phantasmes, ne peut ébranler l’ONA, provoquer un « schisme », se proclamer « ONA véritable » ou prétendre faire revivre « l’ONA authentique » – tout cela en raison de la nature acausale (vivante) de cette entité connue dans le Royaume terrestre du causal comme « l’exigeant ONA ».

L’Ordre des Neuf Angles ne fait en effet que guider et inspirer : il propose une Voie et une vision, mais ne se révèle que dans une praxis sinistre et personnelle. Nous l’affirmons depuis plus de trente ans : l’individu doit changer et grandir, il doit accepter les épreuves et les réussir, il doit devenir sinistre et appliquer à lui-même des techniques particulières, tant ésotériques qu’exotériques. L’effort lui incombe – nous ne sommes pas allés le chercher, il a rejoint notre Kollectif sinistre, il s’est engagé dans un processus intérieur, éprouvant, dangereux, strictement personnel et chronophage, un processus de changement alchimique qui est l’essence de toute Voie ésotérique authentique.

Ainsi, nous nous moquons qu’untel ou untel « parte ». Au fil du temps causal, certains réintègreront notre Voie et s’engageront à nouveau dans la praxis sinistre. S’ils le font, tant mieux. S’ils ne le font pas, cela n’a aucune importance, ils sont perdus à nos yeux, des ratés parmi les autres.

De la même manière, il nous est indifférent qu’une personne nous ayant quittés forme son propre groupe, sa propre organisation ou fonde sa propre Voie (même si cette dernière entre, apparemment, en compétition avec la nôtre). Elle peut avoir retiré quelque chose de son engagement à nos côtés, ou pas. La majorité néanmoins s’enferrera purement et simplement dans ses illusions, se trouvant toutes les excuses imaginables pour justifier son incapacité à être véritablement sinistre dans le monde réel et son refus d’accepter et de surmonter les défis concrets que notre Voie exige. Certains iront même jusqu’à se considérer comme des « Adeptes » et entreprendront de déblatérer, longuement et prétentieusement, sur des sujets ésotériques, au lieu de s’y mettre et d’agir sinistrement. La seule chose qui importe pourtant est d’être un Baeldraca dans le monde réel, dans le monde des Hommes-masses – apporter la terreur à ces derniers, changer leur univers, pousser les autres à l’action et manifester les Ténèbres.

Ainsi que je l’écrivais récemment, nous autres – tous ceux de notre espèce – sommes déjà porteurs, à l’état embryonnaire, d’un changelin sinistre ; au minimum avons-nous le potentiel pour le faire naître alchimiquement en nous-mêmes. Dans les deux cas, nous ne devons pas ménager nos efforts, durant de nombreuses années, pour nourrir notre changelin, pour le faire advenir dans nos ténèbres acausales intérieures avant de le déchaîner sur le monde causal.

J’ai remarqué ces dernières années que vous divulguiez de nombreuses et apparemment nouvelles informations ésotériques. Je pense principalement à tout ce qui a trait à la Voie de la Rounwytha, à l’Empathie ténébreuse, à Baphomet en tant que Déesse sombre et même au Baeldraca. S’agit-il d’enseignements nouveaux, de découvertes issues de plus de quarante années de recherches et d’engagement dans la Voie de la main gauche, ou ne faites-vous que révéler des traditions ésotériques demeurées cachées jusqu’à présent ?

Pour l’essentiel, la seconde option est la bonne bien que j’ai réalisé quelques ajouts comme le Jeu stellaire, les tribus sinistres, les Dreccs, la Loi du Numen sinistre (le Code sinistre). J’ai par ailleurs fourni une ontologie ainsi qu’une explication – une terminologie même – pour ce que les mortels appellent actuellement le causal et l’acausal et la manière dont ce truc des Neuf Angles, et donc les nexions, s’y rattachent. J’ai peut-être également approfondi et nommé (rendant ainsi les choses plus explicites) cette manifestation ésotérique connue comme l’Empathie ténébreuse, et quelques autres notions encore.

Mais cela a-t-il la moindre importance ? Qui a fait quoi, quand et comment ? C’est une question de Perspective acausale me semble-t-il !

J’ai l’impression que ça intéresse les gens, beaucoup de gens, car ils sont nombreux à penser que cette histoire – l’ONA, dans toute sa complexité et sa richesse, dans toute son unicité et son originalité – est intégralement votre œuvre, votre création. Que l’ONA, pour parler en termes ésotériques, est votre Grand Œuvre, votre Parole de Magus et que ce discours au sujet de traditions transmises par une certaine Maîtresse n’est qu’un mythos élaboré par vous.

[Sourire] Si certains croient cela, très bien.

[Nouveau sourire] Cependant, en tant que telle, la Rounwytha faisait bien partie d’une tradition dont je devins le dépositaire, tradition selon laquelle il existait des dames très spéciales qui possédaient certains talents innés en relation avec une façon de concevoir la Vie plus naturelle et, désormais, beaucoup plus ancienne.

S’il s’agit de véritables traditions ésotériques, pourquoi ne pas les avoir publiées plus tôt ? Pourquoi un tel retard ?

Pour deux raisons pratiques. En premier lieu, les traditions orales n’étaient pas toujours très explicites, n’ayant jamais été écrites, et se résumaient souvent à des suggestions, des intuitions de réalités ésotériques pour lesquelles, avant moi, il n’existait pas de mots et encore moins de langage permettant de les exprimer clairement, aussi bien ésotériquement qu’exotériquement. Autrement dit, cette connaissance s’apparentait souvent à une compréhension indicible des manifestations causales du Cosmos, à la manière dont un morceau de musique sublime, par exemple, peut nous communiquer une telle intuition, tout comme le fait de passer de délicieux moments avec une dame charmante est susceptible de nous donner un aperçu des possibilités de la Vie.

On peut donc dire que l’une de mes tâches était de donner une forme plus explicite aux intuitions ésotériquement transmises, et cela m’a pris du temps. Assez tôt cependant, j’ai essayé de présenter, partiellement, l’essence de cette connaissance ésotérique muette : en rapport avec la tradition de la Rounwytha, à la fin des années 1970 par exemple, pour se référer à un calendrier causal particulièrement vulgaire, à travers le personnage de Rachael dans Rompre le silence [20] et, un peu plus tard, par l’intermédiaire de quelques autres protagonistes du Quartet de Deofel [21].

Ce qui m’amène à l’autre raison pratique expliquant le délai de divulgation que vous mentionniez, à savoir que j’ai communiqué, en personne, cette connaissance et cette compréhension ésotériques à moi transmises à la poignée d’individus suivant la Voie de l’ONA, m’inscrivant ainsi dans la tradition antique selon laquelle les informations relatives à ces questions ne se diffusent que sur une base interindividuelle.

Après coup, j’ai également cultivé l’espoir naïf que quelqu’un serait capable d’assembler les morceaux de savoir révélés et de faire le nécessaire pour les expliquer et les exposer, pour les développer même, principalement car je me vouais souvent, des mois durant, voire des années sur la fin, à rendre présentes, très concrètement, les Ténèbres.

Ingénument, j’ai supposé que quelqu’un, ou quelques-uns, pourrait par exemple voir le lien existant entre Baphomet et l’essence féminine sous-tendant la tradition dont je suis l’héritier (le lien avec la Rounwytha, donc) ou serait capable de comprendre le Satanisme comme une forme causale utilisée à des fins éoniques. Rien de cela ne se produisit. D’un certain point de vue, il y a là une preuve accablante de la désolante absence contemporaine de compréhension et de talents ésotériques, tout particulièrement si on la met en parallèle avec le nombre grandissant de personnes prétendant les détenir.

Finalement donc, j’ai dû tout faire tout seul, souvent en cessant momentanément de manifester les Ténèbres. [Sourire]

Il semble désormais néanmoins que la situation évolue enfin et que des individus talentueux, associés à nous ou travaillant avec nous, établissent ces liens que j’évoquais précédemment, soit en vertu de leur expérience pratique et ésotérique de la Voie qui est la nôtre, soit car ils possèdent certaines des qualités de la Rounwytha et ont deviné ces choses. De fait, certains – dûment sélectionnés – d’entre eux ont heureusement initié une mutation de cette Manifestation sinistre qu’est l’ONA, en harmonie avec la nature vivante de ce dernier.

On pourrait ainsi citer une dame à l’esprit pénétrant : « les dames impliquées dans nos tribus sinistres manifestent un aspect nécessaire et majeur (c’est-à-dire anti-magien) de l’archétype féminin et, de ce fait, incarnent l’émergence même d’un nouvel archétype… » [22]

Que désiriez-vous dire lorsque récemment vous écriviez que « l’un de nos buts sinistres concrets et immédiats [était] de passer de la terreur causale à l’acausale » ?

Répandre la terreur causale est une bonne chose, et elle est en effet nécessaire en ces temps où l’éthos magien prospère et où nombreux sont ceux qu’il réduit en esclavage. Mais, d’un point de vue éonique, elle n’amène pas le Changement, significatif et durable. Elle n’est qu’un moyen et une tactique employés pour évoquer, invoquer et stimuler le Sinistre, le manifester dans le causal – une façon de rappeler à certains notre praxis et, si tout se déroule bien, d’en pousser d’autres à faire de même, en vue de leur développement et de leur évolution intérieurs, afin de donner vie à de nouveaux Adeptes sinistres.

À l’inverse, la terreur acausale peut faire advenir le Changement éonique. L’un des exemples parmi les plus évidents est la terreur suscitée par le Retour des Dieux sombres, l’irruption concrète dans le causal de certains êtres acausaux, rendue possible par la collocation [23] de plusieurs nexions, apportant le Chaos, la terreur, des massacres – l’aube d’un nouvel Imperium sombre. Il n’est cependant pas aisé d’accomplir ce geste ésotérique. Combien sont-ils ceux d’entre nous, au sein de notre Kollectif sinistre, à être capables de pratiquer convenablement le Chant ésotérique (cf. Naos [24]) ou à posséder un cristal du bon type et aux bonnes dimensions ? Combien sont-ils ceux qui, à condition qu’ils la pratiquent, mèneraient la Cérémonie du Rappel jusqu’à son terme, sa conclusion sacrificielle, et pas une seule et unique fois, mais selon le rythme régulier nécessaire pour l’ouverture de leur propre nexion physique ? Combien sont-ils à être capables seulement de comprendre la nature de la saison propice pour entreprendre ce Rite sombre ? Combien de temps cela va-t-il prendre pour que nous ayons simultanément neuf nexions physiques ouverts, en des endroits divers de par le monde, à même d’accomplir le Rite de façon synchrone et, grâce à la jonction des déchirures dans le tissu du continuum causal qu’ils créeraient ainsi, en mesure de produire le supra-nexion (la collocation des nexions), celui qui permet l’irruption des entités acausales, le Retour des Dieux sombres ? [La référence aux neuf nexions est suggérée, par exemple, dans une fiction datant des débuts de l’ONA et décrivant la façon dont deux nexions, physiquement séparés, peuvent être utilisés.]

Un autre moyen – beaucoup plus accessible en l’état actuel des choses – de répandre la terreur acausale est le développement des tribus sinistres. Il est également possible de mentionner l’éveil de nouveaux archétypes sombres dans la psyché des masses (l’archétype féminin sinistre évoqué plus haut est l’un d’eux), le fait d’instaurer la terreur, de jour comme de nuit, par le biais de nos nexions et de l’accomplissement des Rites sombres (comme le Rite des Neuf Angles) ou d’appeler des entités acausales ténébreuses, à la manière de ce qui est symboliquement décrit dans Eulalie, la sombre fille de Baphomet [25] ou Dans les cieux du rêve [26]. L’accomplissement de ces rites, dont certains ont spécifiquement été conçus pour libérer les énergies sinistres de cette façon apparemment aléatoire selon laquelle elles se présentent ou sont rendues présentes, conduit à la plus splendide manifestation des Ténèbres qui soit. Au nombre d’entre eux figurent la version avancée du Jeu stellaire, le Chant ésotérique convenablement exécuté et l’utilisation – par le troupeau – du Livre noir de Satan [27] et d’autres travaux exotériques…

Mais le moyen le plus simple peut-être de provoquer la terreur acausale est l’insémination, dans notre engeance sinistre ainsi que dans ceux que nous pouvons et devons assimiler dans notre Kollectif, du Baeldraca puis sa libération, de sorte que, nourries en nous, ces entités terrestres sombres puissent s’infiltrer en nombre sans cesse croissant dans le monde du commun et, à travers leurs actions maléfiques, instiller d’une façon toujours plus intense la terreur acausale.

Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par « Baeldraca » ?

Non, j’attends toujours des gens qu’ils découvrent certaines choses par eux-mêmes.

Anton Long. Ordre des Neuf Angles. 121 yf. Traduction anonyme, 2015.

Notes :

[1] Cf. ONA, An Introduction to Insight Rôles (Une introduction aux Rôles-perspectives), 119 yf (édition révisée). Pour une approche plus récente, mais pas moins radicale, voir aussi Jall, Insight Roles : A Satanic Practise Revisited (Les Rôles-perspectives : retour sur une pratique satanique), in Fenrir IV-124 yf.

[2] Cf. R. Parker & O9A, The Culling Texts (Les textes sur l’Abattage), 2014 (pour la v.7.), anthologie d’écrits majeurs sur le sujet. Une approche plus concise : R. Parker, Culling and The Order of Nine Angles (L’Abattage et l’O9A), 2015 (pour la v.1.03).

[3] Baeldraca – From Causal to Acausal Terror.

[4] ONA, Copula Cum Daemone, 121 yf. Parfois intitulé Copula Cum Daemone 0, ce texte est à ne pas confondre, même si tous sont très étroitement liés, avec Copula Cum Daemone II (un recueil de textes hérétiques remontant de 1974 à 2010/2011) et Copula Cum Daemone (une fiction ésotérique, publiée en 1978 mais vraisemblablement écrite vers 1976 – cf. Algar Merridge, The Occult Fiction of The Order of Nine Angles/Les fictions occultes de l’O9A, 122 yf pour la version révisée, 119 yf pour l’originale – , occasionnellement attribuée à David Myatt et incluse dans Anton Long & ONA, Hostia vol. III, 1992 eh, sans ses trois premières pages. Sur la « paternité » de ce dernier texte, Myatt s’est expliqué dans A Matter of Honour/Une question d’honneur, 05/03/2012 pour la version originale, novembre 2012 pour la version révisée.

[5] Le texte original utilise le terme “psychic”, mais sa traduction française (“psychique”) ne rendrait pas exactement compte de ce dont il s’agit, d’où le choix du mot « métaphysique » qui renvoie à un dépassement de la physis causale ordinaire, plus conforme à l’esprit de l’ensemble.

[6] Quant à l’emploi de ce terme, voir la traduction de Baeldraca ci-après, ainsi que ses notes. Une vision plus globale du concept est développé en outre dans Anton Long, Alchemical Seasons and The Fluxions of Time/Les saisons alchimiques et les fluxions du temps, 123 yf.

[7] Cf. D. Myatt, A Matter of Honour/Une question d’honneur, 05/03/2012 pour la version originale, novembre 2012 pour la version révisée.

[8] Cf. Bertolt Brecht, La résistible ascension d’Arturo Ui (Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui), 1941 : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »

[9] « Il [Adolf Hitler] était le tambour d’un autre grand Chef que l’on attend toujours (…) Cette personne se nommera “Vindex” et vengera tous ceux qui sont tombés lors des nombreux conflits ayant eu lieu depuis 30 yf [1919]. Avec elle commencera une phase nouvelle, plus élevée, de notre évolution. » (David Myatt, National-Socialism : Principles and Ideals/Le National-socialisme : principes et idéaux, 1992).

[10] Cf. Aulwynd Caeleth, Adolf Hitler as Dark God/Adolf Hitler, le Dieu sombre, 125 yf.

[11] Hermès Trismégiste, Tabula Smaragdina (La table d’émeraude).

[12] Cf. Anton Long, Nietzsche, Darwin, Others and The Seven-Fold Sinister Way (Nietzsche, Darwin, les autres et la Voie septuple), 122 yf.

[13] ONA, Presencings of a Hideous Nexion (Les manifestations d’un nexion hideux), 122 yf. Ce texte (certains de ses passages plus précisément) est parfois intitule Women and the ONA: Questions From A Modern Rounwytha Initiate (Les femmes et l’ONA : questions à une Initiée moderne de la Rounwytha).

[14] Cf. Anton Long & ONA, The Grimoire of Baphomet (Le grimoire de Baphomet), 113 yf (120 yf pour la version – v.1.05 – révisée).

[15] ONA, Baphomet : Vamperess of The Dark Gods (Baphomet, le Vampire des Dieux sombres).

[16] Cf. Anton Long, The Methods and Tradition of The Seven-Fold Way/Les méthodes et la tradition de la Voie septuple, 122 yf: “…le Baeldraca intérieur qui caractérise les néophytes de notre espèce. »

[17] Cf. Anton Long, Satan, Acausal Entities, and The Order of Nine Angles/Satan, les entités acausales et l’O9A, 2011.

[18] « Le mystérieux secret de Satan est simplement cette façon d’exister hérétique, facétieuse et oppositionnelle consistant à être ou devenir un satan. » (Anton Long, The Geryne of Satan/Le secret de Satan, 122 yf).

[19] ONA, Baphomet: A Note On The Name I/Note relative au nom de Baphomet I.

[20] David Myatt, Breaking The Silence Down, 1985 (année de diffusion privée du texte par Myatt). [NdT] Les autres versions du texte, parfois attribuées à Anton Long, diffusées dans le courant des années 1990 notamment par Beesty Boy (Christos Beest – ou quelqu’un se faisant passer pour lui) ou Michael W. Ford, ne sont pas conformes à l’original. Le lecteur pourra déduire ce qu’il veut du fait que Long s’approprie ici un texte signé par Myatt. Néanmoins, Myatt s’est déjà exprimé sur la question (D. Myatt, A Matter of Honour/Une question d’honneur, 05/03/2012 pour la version originale, novembre 2012 pour la version révisée).

[21] Anton Long, The Deofel Quartet (119 yf pour la version révisée ; les textes composant le recueil ont initialement été écrits entre 1974 et 1993). [NdT] Concernant les versions du Quartet auxquelles a été rajoutée la nouvelle plus tardive Breaking The Silence Down, on parlera du Deofel Quintet. Par rapport aux récits originaux, l’édition de 119 yf a pu être caractérisée par son caractère « occulte » plus prononcé (cf. R. Parker, Esoteric Aural Tradition In The Deofel Quartet/La tradition orale ésotérique dans le Quartet de Deofel, 2014 ev).

[22] [NdT] Sinister Moon, Some Recent Comments Concerning The Sinister Feminine Archetype/Quelques commentaires récents à propos de l’archétype féminin sinistre, 121 yf, publié dans Fenrir n° 3 – 121 yf.

[23] [NdT] La collocation ne doit pas être comprise comme une colocalisation, mais bien comme le fait de ne plus former qu’un lieu unique.

[24] Thorold West & ONA, Naos, 1989 ev.

[25] Anton Long & ONA, Eulalia : Dark Daughter of Baphomet, 119 yf.

[26] Algar Merridge, In The Sky of Dreaming, 118 yf, in ONA, Tales of the Dark Gods/Histoires de Dieux sombres (119 yf).

[27] ONA, The Black Book of Satan (1983 pour la première édition, 2008 pour la version révisée). Appelé aussi Codex Saerus.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.