Les Portes du Rêve : l’oeuvre de Yuggoth | Rat Holes

Howard Phillips Lovecraft

« Nous étions assis sur une pierre tombale abandonnée, vieille de trois siècles, et l’indicible occupait nos pensées. – H.P. Lovecraft, L’indicible.

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Howard Phillips Lovecraft est né le 20 août 1890 à Providence, une petite ville dans l’État du Rhode Island. La maison familiale, située au 454 Angell Street, appartient à son grand-père maternel : Whipple Van Buren Phillips. Ses parents, Winfield Scott Lovecraft et Sarah Susan Phillips sont tous deux d’origine anglaise. Howard Phillips restera d’ailleurs, tout au long de sa vie, un anglophile acharné.

Trois ans après la naissance de son fils, Winfield Scott Lovecraft est admis dans un hôpital psychiatrique, où il meurt le 19 juillet 1898, probablement de la syphilis. L’enfant passera le reste de ses années de jeunesse avec sa mère et deux tantes. Sa santé fragile le condamne à une scolarité sporadique, malgré sa très vive intelligence et une grande curiosité pour les sciences et la littérature. Il se réfugie très tôt dans la lecture, se créant un monde étrange peuplé par des créatures de son imagination. Capable de lire couramment dès l’âge de quatre ans, il passe de longues heures dans la bibliothèque de son aïeul à étudier l’histoire et la mythologie. Il entame l’étude du latin à sept ans. Son grand-père, qu’il adore, lui raconte des contes et des légendes de la nouvelle Angleterre auxquels il fera ultérieurement appel dans ses évocations de villes imaginaires comme Arkham, Dunwich ou Innsmouth. Il se passionne pour les contes arabes des Mille et une nuits au point d’adopter le pseudonyme d’« Abdul Alhazred », un nom qui deviendra celui de l’auteur du mythique Nécronomicon.

En 1904, alors qu’il est âgé de 14 ans, l’adolescent subit ce qu’il avouera plus tard être le pire des chocs de son existence, au point qu’il envisage un moment le suicide : la mort de son grand-père bien-aimé. Une mauvaise gestion de l’héritage plonge la famille dans de sévères difficultés financières, l’obligeant à quitter la grande demeure ancestrale. Lovecraft, sa mère et ses tantes se retrouvent locataires d’un appartement de cinq pièces au rez-de-chaussée du 598 Angell Street.

Lovecraft à Brooklyn en 1922. Donovan K. Loucks.
Lovecraft à Brooklyn en 1922. Donovan K. Loucks.

A 15 ans, il rédige son premier récit d’horreur : La bête de la caverne (The beast in the cave, 1905), une nouvelle de 9 pages. Le 6 juillet de l’année suivante, il achète la machine à écrire sur laquelle il tapera tous ses textes pendant trente ans. A la même époque, Lovecraft fonde une revue ‘faite maison’ et signe des articles astronomiques dans le journal local. Après des études inachevées, toujours pour raisons de santé, sa passion pour la littérature l’incite à s’inscrire en 1914 à l’United Amateur Press Association, une association regroupant de jeunes écrivains amateurs se communiquant leurs travaux par courriers. Il se crée ainsi un réseau de correspondants, parmi lesquels Robert Bloch, Clark Ashton Smith, Robert E. Howard, etc. Ces lettres allaient devenir l’un des principaux plaisirs de sa vie. Il aura, à un moment donné, plus d’une centaine de correspondants réguliers (le total des lettres écrites par Lovecraft durant son existence est estimé à plus de 100.000).

En 1914, il propose une série d’articles sur la philosophie et l’astronomie à l’association et à des journaux locaux, ainsi que ses premières nouvelles fantastiques. Ce n’est cependant pas avant 1917 que Lovecraft songe à se consacrer sérieusement à l’écriture. Ses influences sont Ambrose Bierce, Arthur Machen, Lord Dunsany et surtout Edgar Poe qu’il considère comme son maître, au point de signer parfois ses lettres « H. Poe Lovecraft ». Une fois la famille contrainte de quitter la maison d’Angell Street, Lovecraft a vite découvert qu’il était incapable de gagner sa vie. En fait, il passera la majeure partie de sa vie dans un état de dénuement financier considérable. Sa mère physiquement et mentalement a diminuée entra en 1919 à l’Hôpital Butler, où elle mourut en mai 1921 après une longue maladie.

Vers 1920, l’un de ses correspondants qui vient de fonder la revue humoristique Home Brew commande à Lovecraft une histoire « de préférence pas trop morbide ». L’auteur rédige alors les six parties de sa nouvelle Herbert West, réanimateur, avec tête décapitée parlante, cadavres pourrissants et scientifique psychopathe… Si le cahier des charges n’est pas exactement rempli, ce texte plus ou moins parodique sera publié sous forme de feuilleton entre octobre 1921 et juin 1922.

Les années 20 virent le développement des périodiques de type « pulp » (parce qu’imprimés sur du papier de pulpe) bon marché, destinés au grand public et généralement spécialisés dans un domaine, policier, science-fiction, amour, etc. Weird Tales fut sans doute le plus fameux de ces « pulps ». Il fut lancé en mars 1923, mais ce n’est que lorsque son premier rédacteur en chef, Edwin Baird, fut remplacé par Farnsworth Wright que le magazine connut un véritable essor.

Six mois après son premier numéro, en octobre 1923, Weird Tales publia un premier texte signé H. P. Lovecraft, la nouvelle Dagon, écrite en 1917. A partir de là, l’auteur devint un contributeur régulier de la revue. Après sa mort, puis la démission de Wright en 1940, Weird Tales commencera à péricliter jusqu’à son dernier numéro paru en 1954.

Sonia_GreeneLa même année que cette première parution dans le magazine destiné à devenir fameux, Lovecraft fit son premier voyage à New York pour rendre visite au poète Samuel Loveman, et rencontrer Sonia H. Greene, un autre membre de la Amateur Press Association avec qui Lovecraft était en correspondance depuis 1921. Après leur rencontre, leur amitié s’approfondit et ils se marièrent le 3 Mars 1924.

La vie à New York déplut profondément à Lovecraft et les époux se séparèrent deux ans plus tard. Lovecraft trouva la métropole insupportable, au point que son sentiment de dégoût pour la ville lui fournit l’inspiration pour un texte : Horreur à Red Hook (1925). Dans ses lettres, il parle des difficultés qu’il éprouve à conserver un emploi stable et surtout de sa haine de la population immigrée. Dans ses créations, il poussera la xénophobie à son paroxysme. L’horreur ultime qui vient d’ailleurs est selon Lovecraft, l’occasion d’un « mauvais mélange » débouchant sur la monstruosité et la dégénérescence. Qu’il vienne des étoiles lointaines ou appartienne simplement à une autre culture, le métissage avec l’autre, est pour Lovecraft à l’origine d’une catastrophe que ses oeuvres présentent comme imminente. Ainsi, dans Faits concernant feu Arthur Jermyn (1920), un homme découvre que ses ancêtres sont des singes et se suicide.

Après l’échec de son mariage, Lovecraft retourna à Providence, où il vécut en semi-reclus dans la maison de sa tante, Anne Phillips Gamwell. À l’exception quelques voyages à l’intérieur du pays (à Boston, au Québec, à la Nouvelle-Orléans et à Philadelphie) et de déplacements pour examiner les sites historiques de la Nouvelle-Angleterre (tels que les mégalithes préhistoriques de Shutesbury), il devait rester à Providence pour le reste de sa vie.

Revenu dans sa ville natale, Lovecraft se concentre exclusivement sur l’écriture, travaillant de préférence la nuit, dormant pendant la journée, volets fermés. En hiver, il sort rarement de chez lui en raison de son horreur des températures inférieures à 20° – il y a une anecdote qui raconte qu’il osa un jour s’aventurer dehors à -1° et dû être médicalement réanimé. Lovecraft avait une aversion marquée pour la mer, souffrait de terribles maux de tête. Il souffrait également de cauchemars presque chaque nuit. Durant son enfance, il aurait été visité en rêve par des créatures qu’il appelait des « Night Gaunts ». Ces créatures sans visages, aux ailes de chauve-souris l’auraient entrainé vers des scènes bizarres au sommet de montagnes imposantes – un paysage archétypal qui trouva son expression dans ses œuvres de fiction par exemple dans sa description du « le plateau abominable de Leng ». Et c’est dans ces expériences nocturnes que s’originent les plus puissantes de ses images fictionnelles parfois retranscrites de façon « automatique » comme dans la transcription de son poème en prose Nyarlathotep datant de 1920.

A partir de 1930 environ, Lovecraft a régulièrement affirmé à ses correspondants qu’il était sur le point de renoncer à écrire.

En 1935, un an après l’achèvement de sa dernière histoire, The Shadow Out of Time, Lovecraft développe une maladie qui sera diagnostiquée en 1937 comme étant un cancer de l’intestin. Il est admis au Jane Brown Memorial Hospital et décède le 15 Mars 1937 à l’âge de 46 ans. Il est inhumé trois jours plus tard, dans le caveau familial des Lovecraft au cimetière de Swan Point.

Seul un petit nombre de ses oeuvres furent éditées du vivant de Lovecraft : un court roman et cinquantaine de nouvelles publiées dans des magazines, principalement Weird Tales, Amazing Stories, et Astounding Science-Fiction. Après sa mort prématurée, sa popularité évolua d’une façon spectaculaire, notamment grâce à son ami et correspondant August Derleth qui fonda la maison d’édition Arkham House en 1939, avec pour objectif de sortir l’œuvre de Lovecraft de l’obscurité. Un premier recueil fut publié la même année : The Outsider and Others.

Les auteurs qui secondèrent Lovecraft dans l’enrichissement du mythe reprirent cette trame, la modulant et la colorant de leur propre sensibilité, jusqu’à créer une véritable cosmogonie, ajoutant leurs propres divinités au panthéon et inventant de nouveaux grimoires « interdits ». Parmi ces auteurs : Clark Ashton Smith, Robert E. Howard, Frank Belknap Long, Robert Bloch et Derleth lui-même. Plus récemment, des éléments du Mythe de Cthulhu sont apparus dans les travaux d’écrivains tels que Cohn Wilson, Ramsey Campbell, et Brian Lumley.

Melmothia, 2016

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