Olim truncus eram

Dédicacées au bienfaiteur d’Horace, Mécène, Les Satires sont un recueil d’anecdotes privées, de parodies diverses et d’historiettes mythologiques, publié en deux tomes, vers 35 et 29 av. J.-C.

Dans la Satire VIII du premier volume, « Olim truncus eram… », une statue de Priape raconte une scène de sorcellerie dont elle a été le témoin dans l’ancien cimetière des pauvres de l’Esquilin, un cimetière que Mécène fit déplacer pour construire des maisons, dont la sienne.

La version en vers, proposée ici, est celle de Louis-Vincent Raoul (1829), mais vous pouvez lire une autre traduction, en prose, effectuée par Leconte de Lisle, en 1873, sur le site Wikisource.

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Je n’étais qu’un tronc d’arbre, un figuier inutile,

Quand, tombant sous la main d’un ouvrier habile :

Qu’en faire ? Un banc ! dit-il, en y pensant un peu.

Non : faisons un Priape ; et je devins un Dieu.

Depuis, en ces jardins, où je répands la crainte,

Sentinelle placée, pour en garder l’enceinte,

Un roseau sur la tête, à la main une faulx,

J’écarte les voleurs, et fais fuir les oiseaux.

Jadis on ne trouvait ici qu’un cimetière,

Où de leur bouge étroit, dans une vile bière,

D’esclaves malheureux à la hâte emportés,

Les cadavres étaient pêle-mêle jetés.

Du rebut des mortels commune sépulture,

Là venaient se confondre en une foule obscure,

Les hommes de débauche et de dettes perdus,

Le bouffon Pantolabe et le lutteur Bardus.

Alors, sur le chemin, une ancienne colonne

Portait ces mots : ce champ qu’au public j’abandonne,

Et que mes héritiers jamais ne reprendront,

Sur trois cents pieds de large en a mille de long.

Aujourd’hui par les arts, par le luxe embellies,


On ne redoute plus les froides Esquilies ;

Et dans ce même enclos où les tristes regards

Ne voyaient que cercueils et qu’ossemens épars,

Sous des berceaux fleuris élevés par Mécène,

Dans un air libre et pur sans crainte on se promène.

Je n’y suis pas oisif ; et mes plus grands travaux

Ne sont pas d’en chasser d’avides animaux.

Deux Circés, la terreur de ces rians bocages,

Par leurs charmes puissans, par leurs secrets breuvages,

Des fragiles humains dérangeant le cerveau,


M’y donnent tous les jours quelque souci nouveau.

Rien ne peut empêcher leur visite importune ;

Rien ne peut empêcher, aussitôt que la lune


Sous la voûte céleste a montré son croissant,

Qu’on ne les voie ici, dans l’ombre se glissant,

Venir chercher, autour de ces tombes antiques,

Des ossemens humains et des herbes magiques.

J’ai vu Canidia pâle, les yeux ardens,

Nu-pieds, en robe noire et les cheveux pendans ;

Je l’ai vue, appelant sa compagne profane,

Parmi ces monumens, hurler avec Sagane.


Sous leurs ongles d’abord le sable qui s’ouvrait,

En une fosse humide à mes yeux se creusait ;

Et le sang d’un agneau, dont, sous leurs dents tranchantes

Se broyaient en criant les chairs encor tremblantes,

Soudain allait remplir la fosse d’où les dieux,


Par l’organe des morts épouvantaient ces lieux.

Deux figures ensuite arrivaient sur la scène,

La plus petite en cire et la plus grande en laine.

Celle-ci, retenant sa compagne à genoux,


Semblait à la punir animer son courroux ;

Et comme une humble esclave implorant sa justice,

L’autre, prête à périr, attendait son supplice.

Nos deux Circés alors évoquaient des enfers

Hécate, Tisiphone et leurs monstres divers ;

Les cieux s’enveloppaient de ténèbres profondes.


Ou voyait dans la nuit errer des chiens immondes ;

On voyait se traîner des reptiles impurs ;

La lune se voilait de nuages obscurs,

Et, pour fuir ces horreurs, cherchant un lieu plus sombre,

Derrière un grand tombeau disparaissait dans l’ombre.

Puissé-je, mes amis, si je dis rien de faux,

Voir tomber sur mon front l’ordure des corbeaux !


Faut-il vous dire tout ?

Faut-il de nos harpies

Vous conter en détail les mystères impies ?


Comment de leurs clameurs les airs retentissaient :


Comment à leurs discours les mânes répondaient :

Comment, ayant cherché, pour finir ce grand œuvre,

Une barbe de loup et des dents de couleuvre,

À l’écart, en tremblant, d’une furtive main,

Elles les déposaient dans un lieu souterrain ;

Puis jetaient sur le feu la figure de cire ?

Comment, à les voir faire, à les entendre dire,


Et d’indignation et d’horreur pénétré,

Je ne pus retenir mon dépit concentré.

Car tel que l’on entend d’une vessie enflée


S’échapper avec bruit l’air dont elle est gonflée,

Tel, de mon tronc sonore et qui se fend en deux,

Part, semblable au tonnerre, un roulement affreux.


Alors vous eussiez vu, tableau vraiment risible,

Vers la ville, à grands pas, s’enfuir le couple horrible,

Et perdre, dans l’effroi qui trouble tous les sens,

Sagane ses cheveux, Canidia ses dents,

Bandelettes, poisons, herbages sacriléges,

Et jusqu’aux mots sacrés qui font les sortiléges.

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