Panthéon Décousu | Rat Holes 2

La Genèse Naturelle [1]

THE NATURAL GENESIS – SECTION 6

 La Genèse Naturelle et la typologie du Serpent Mythique ou Dragon et autres Elémentaires

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« L’objet de notre enquête n’est pas une créature banale, mais bigarrée et complexe. Il s’agit du plus changeant et problématique des animaux, qui ne doit pas être saisi, pour ainsi dire, avec la main gauche ». Platon.

 Le serpent est l’un de ces rares grands modèles primitifs, représentatifs des premières projections objectives de la pensée humaine, lorsqu’elle tâtonna à la recherche de son lointain passé souterrain, ce qui pourrait être comparé aux vers de terre catapultant leurs premiers jets de boue pour une utilisation future. Ce fut primordial et ce fut universel. La suprématie du serpent fut aussi largement répandue que celle de la nuit, des plus explorées aux plus reculées régions de la terre. Le symbole du serpent dans les mythologies fait littéralement le tour du monde, l’encerclant totalement.

Le symbole du serpent a été vénéré dans les pays où l’animal lui-même n’existe pas. Il était la vie régénérée ou l’immortalité dans les rites de Sabazios, ainsi que sur ​​les portes des tombeaux égyptiens et chaldéens, et il est encore un symbole d’éternité sur un bracelet enserrant le bras d’une Anglaise. Il est représenté sur des bagues et des cerclages autour de cannes, enroulé comme autour de l’arbre mythologique. Il est le grand dragon du royaume céleste, le grand serpent des vieux Norrois rois de la mer, le ver de Lambton, le dragon de Saint-Georges sur les enseignes de nos pubs et sur de vieilles pièces de monnaie Anglaises. On trouve encore pas moins de 700 temples dédiés au serpent, en ne considérant que le Cachemire. Cela fait seulement quelques années que des bâtiments consacrés à ses rites ont été découverts au Cambodge, dépassant en hauteur les cathédrales de York ou d’Amiens, et en ampleur les temples de Grèce et de Rome [1]. Mais ce n’est pas mon ambition que de disserter du « culte » du serpent, plutôt d’expliquer l’origine et le développement de ce modèle universel comme idéogramme qui nous conduira à faire le tour du monde.

La « Voie du serpent » et sa réalisation sont parmi les plus incroyables de toute la nature. Il n’a pas de mains, et malgré cela, peut grimper aux arbres pour attraper le singe agile. Il n’a pas de nageoires, mais peut nager plus vite le poisson ; pas de jambes, et pourtant le pied humain ne peut pas le battre. La mort est dans sa gueule, même pour l’oiseau en plein vol que le reptile jaillissant arrache de son élément. Le serpent tue avec une dextérité que les machines de guerre humaines pourraient considérer comme divine.

L’une des visions les plus saisissantes est de voir cette créature tordre son corps pour saisir sa proie, comme le ferait une main, et la conduire à sa gueule mortelle. Le serpent dans les affres de la mue est un spectacle que l’on ne peut jamais oublier. Il réside une puissante fascination dans la vue de cette image d’une émanation de la créature elle-même, la nouvelle, régénérée, dotée d’une plus vaste existence, née du masque du vieil individu mort, comme un corps spirituel qui s’extrait du corps physique, une forme incomparable d’auto-émanation, de transformation, de résurrection à une vie nouvelle, du « Temps ou du Renouveau naissant de lui-même » [2].

Le nom du serpent possède la même racine dans plusieurs groupes de langues :

M01

Ce nom est essentiellement africain :

M02

Avec des variantes en :

M03

Le y dans ces noms n’est pas originel, mais renvoie à un son antérieur. Ainsi nyoke est ngoke, le Kamite n devenant ng, et cette forme a été conservée dans les hiéroglyphes où Nkaka devient kaka, et évidemment se poursuit avec le nk ou ng africain. Nkaka se réduit ensuite en naka, donnant d’un côté le nâga sanskrit et d’autre part kak, hak et hag, tous deux se retrouvant dans la langue africaine originelle. Dans l’Hymne à Amon-Rê, il est dit que dieu-soleil envoie ses flèches contre le serpent mal Naka, pour le consumer [3].

Le modèle du serpent ou du monstre dévorant est le naka ou nâga. Nakak désigne aussi la malédiction, ou le maudit, le dévorateur typhonienne, le crocodile-dragon, pour le déterminer. Naka, tromper, se tromper a le dragon ou le monstre Apap, le serpent perspicace du mal, comme déterminant. Cela dit, le monstre primitif demeure les ténèbres. Le premier type de ténèbres est naka, nakak, ou akhekk. En Égypte, l’obscurité, est appelé Kak, Akhekh, et Ukha ; et le monstre mythique possède le même nom, avec le serpent Akhekh, ou griffon, le modèle du mal étant originellement identique à celui de l’obscurité. Ce vieux serpent est dépeint comme le Akhekh difforme, et dans quelques langues non aryennes de l’Inde le terme a fourni un nom générique pour les choses tordues comme :

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Ce nom est d’origine africaine, comme o kako à Idsesa ; o kako, Yagba ; Wogu, Kiamba, etc.

L’obscurité est l’ombre qui vole la substance, fait trébucher le pied, et trompe la vue de l’homme primitif. De là, le monstre de la mythologie. De là, également vient que la nuit et le Naga ou Nakak, le dévorateur, sont synonymes. Le nom de la nuit possède également une origine africaine, sous le nom de Naga.

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Et :

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Nakak, akhekh et kak, sont donc des noms du mythique du monstre noir, de la noirceur, le dragon dévorant, Kok est le nom du dragon à Amoy. La constellation du dragon est appelée Kok-Sing. Le basilic est un serpent mythique. En outre, la libellule anglaise, appelée coach-horse (diligence), est une forme de akhekh ou dragon ailé, et le nom de notre cockroach (cafard) signifie l’insecte qui se déplace la nuit. Le vampire assyrien est appelé akkkkaru, forme sous laquelle les morts sont censés se lever et attaquer les vivants. Le yaksha, ou jaksha ( skt ), est le dévorateur. Un gege en zoulou est un également un dévorateur. L’ogre est un monstre mythique, le dévorateur. Le kaka fidjien est la bouche des Enfers, la gueule du monde d’en dessous. Le mauvais esprit kamkadal est un dragon aquatique appelé mit-gak. Kikymora est le dieu slave de la nuit ; eyak est l’esprit du mal Koniaga ; aka, un – esprit maléfique japonais. Le Yaga Baba des contes populaires russes est identique au Typhon des ténèbres. Jugah Pennu est la déesse Khond de la variole. Jaca est le diable dans la mythologie Cinghalaise ; Akea, le premier souverain d’Hawaii (Savaiki) règne à présent sur ​​le monde des ténèbres et de la mort. Agoye est le dieu obscur de Hwida.

De nombreuses autres divinités ou de démons de l’obscurité peuvent être retracées sous des variantes de ce nom typique de la noirceur, la malhonnêteté et autres déclinaisons de l’adversaire. Le nom du serpent Akhekh est d’origine africaine. Dans le dialecte Makua, ikuka est le grand python. Dr McLeod dit qu’au Dahomey les pythons mesurent 30 à 36 pieds de long, et sont de circonférence proportionnelle.

Voici donc le type naturel du Akhekh (ou Nakak) des ténèbres : la forme d’un énorme serpent. Dans la partie solaire du mythe, quand le soleil descend dans le monde souterrain, l’Akhekh des ténèbres est aux aguets pour avaler ou attaquer le dieu, ou bien se lève et tente de renverser la barque solaire. « Je vais de la terre au ciel, je serai comme Akkeku »[4] dit le déifié, en utilisant une image inspirée du surgissement soudain de l’ombre dévoratrice. Les assistants et complices de ce monstre noir mystificateur sont appelés les sami. Smi, dit Plutarque, est Typhon.

Une fois de plus, sami en égyptien est le nom de l’obscurité totale. Dans la mythologie fidjienne, nous trouvons le même adversaire de l’âme et de la lumière qui fut d’abord l’obscurité réelle. Pour traverser les enfers, le fantôme de chaque guerrier décédé doit se battre avec Samu et les siens. S’il est assez courageux pour vaincre, il atteindra le paradis, mais s’il est vaincu, il sera dévoré par le terrible Samu et ses frères, tout comme cela est décrit dans The Ritual. En sanskrit Samani-Shada est un démon de l’obscurité ; summani, en latin, est l’un des noms de Pluton, comme Roi de l’Enfer. Le saman, chez les Fantis (Afrique), est un fantôme, démon, ou diable. Les sami se retrouvent avec les cemis des Antillais, dans les Caraïbes, et chez d’autres, qui les considèrent comme les auteurs de toutes les calamités qui affligent l’espèce humaine [5].

Le monstre Yaga-Baba des contes populaires russes, qui porte le nom de Typhon, ou « Baba la Bête », a, parmi ses avatars, le serpent zmei qui est identique au smi ou sami égyptien, le conspirateur, le menteur des ténèbres. Sami, l’obscurité totale, connaît une forme antérieure (ou une variante) en kami, le noir ; et le sami chez les Basuto est Kammappa, la gueule grande ouverte, le monstre strangulateur et dévorant., qui a été vaincu par Litaolané, le « Saint George » local [6]. Le Apap (grec Apophis) est une autre variante du serpent des ténèbres, du monstre trompeur et dévorateur. Le Apap réapparaît dans l’assyrien âbu, le python hébreu אויב, un nom qui signifie « l’ennemi des dieux ». Le Apap est apparemment le serpent de roche africain et non une espèce indigène de l’Égypte, aussi grand qu’un boa. Son nom signifie ce qui s’élève, vaste, immense, comme le font les ténèbres dans leur manifestation la plus effroyable.

Le platonicien Damascius rapporte que les Égyptiens ont placé l’obscurité comme principe premier de toute chose, l’inconnu, incompréhensible, inconcevable obscurité, à partir de laquelle la lumière a été émanée. Mais l’obscurité primitive n’était pas encore celle d’Orphée et des platoniciens, sombre par excès de lumière. Ceux-ci sont venus plus tard distinguer deux sortes de ténèbres, l’une étant en dessous et l’autre au-delà de la lumière. Mais cette division s’est faite après coup. L’interprétation ésotérique est la dernière et non la première lecture des phénomènes ; et une source majeure d’erreur consiste à subrepticement imposer une lecture ultérieure à une imagerie autochtone. La nuit a été le premier révélateur de la lumière des étoiles, et donc une forme de génitrice, la mère (Mut) qui est appelée « maîtresse des ténèbres et celle qui apporte la lumière ».

Dans la dernière des Légendes d’Izdubar la mère de tous, Ishtar est « Celle qui est ténèbres ; Celle qui est ténèbres, la Mère, qui donne naissance à l’Aube, Elle est les Ténèbres ». La génitrice du Mexique, Cihuacohuatl est le serpent femelle qui a donné naissance à la lumière, et elle est la mère des jumeaux lumière et obscurité. Dans La Sagesse de Salomon [7] se trouve une phase primordiale personnifiée des ténèbres : « Elle est plus belle que le soleil et au-dessus de l’arrangement des étoiles. Comparée à la lumière, elle se trouve devant elle » – analogue à la phrase de Plutarque « l’obscurité est antérieure à la lumière ». Nous lisons dans The Ritual [8], « l’éon ou l’âge (heh) est le jour, l’éternité est la nuit ». Au début des temps disent les Néo-Zélandais était Te-po [9]. Te est « le », et po est l’obscurité, la nuit, ou le séjour des morts. Le même po comme le point de départ de l’obscurité est la nuit à Mangaia ; po est l’équivalent de Avakai ou Savakai, le lieu de naissance. Après Te-po, l’obscurité, vient Te-ao. Ao (maori) signifie « devenir lumineux ».

Les premières conditions d’existence observées par les hommes primitifs étaient précisément celles qui étaient immédiatement observables. Ce sont la nuit et le jour se suivant dans une alternance incessante. Au commencement était l’obscurité impénétrable de la nuit primitive. L’exclamation universelle de la mythologie est : « Il y avait l’obscurité. » Au début, tout était ténèbres et le tout était l’obscurité. L’homme primitif est sorti de la nuit, son esprit impressionné d’une façon indélébile, teint tout comme l’était son corps d’une noirceur naturelle, parce que l’influence de la nuit a été la première à être pensée consciemment, la première qui a retenu son attention et a attiré son regard vers le haut lorsqu’il se déplaçait encore mentalement à quatre pattes.

Une tradition Maori décrit les premiers enfants de la Terre comme « s’interrogeant sur ce que pourrait être la différence entre la lumière et les ténèbres ». Voilà qui contient un véritable témoignage de ce que devait être un sujet primordial de la pensée. En outre, il ne les montre pas redoutant l’obscurité ou se cachant d’elle, recroquevillés dans des grottes, mais s’émerveillant de l’alternance des phénomènes. Ce serait une erreur d’imaginer subjectivement l’homme primitif comme enclin à la lâcheté. Les races anciennes qui survivent aujourd’hui et sont mortellement effrayées par l’obscurité sont incapables de se représenter l’homme antérieur qui n’avait pas encore peuplé l’obscurité de ses terreurs. Celles-ci prennent une forme spirituelle et les animaux que les sauvages redoutent prennent eux-mêmes une forme fantomatique. Mais ce sont les idées qui font toute la différence. La peur que les enfants ont du noir est fréquemment cultivée, lorsqu’elle n’est pas héréditaire. Nous imaginons les courageux petits pygmées de la vallée de la Tamise à l’époque de l’âge paléolithique qui, avec leurs armes grossières ont attaqué et triomphé des monstres les plus puissants du règne animal, comme ces petits coqs des navires anglais qui ont essaimé dans le monde et triomphé des grands galions de l’Armada espagnole.

L’obscurité, cependant, a été le premier Diable, Satan, ou Adversaire découvert, car elle était la forme primordiale de l’obstruction à la lumière ou à l’être humain. Les ténèbres furent le premier monstre personnifiant la laideur ; parce que la lumière était agréable. En outre, l’obscurité, et non la lumière, fut le premier déclencheur dans la conscience du sentiment et dans la perception, de la pensée. De cela, aussi, nous possédons des témoignages. Les mythes primitifs commencent tous par l’obscurité. Le point de départ se situe du côté sombre des phénomènes. Ainsi le premier calcul de temps se faisait par nuits et non par jours. Autant de nuits étaient comptées, autant d’aubes. L’obscurité a montré la limite de ce qui était tangible à la conscience naissante.

L’arrivée de la lumière précédait sa perception, et l’approche de l’obscurité était la façon par laquelle l’advenue de la lumière était primitivement appréhendée. La venue des ténèbres est ressentie par certains animaux grégaires vivant dans les collines, y compris les moutons ; ceux-ci manifestent un instinct les poussant à gagner les terrains plus élevés après le coucher du soleil, comme s’ils étaient conscients que le déluge de l’obscurité croissait autour d’eux. Dans la légende akkadienne, les sept démons ou mauvais esprits, qui apportent la noirceur de l’abîme, sont dits être nés dans les montagnes où se couche le soleil. En Afrique, la tombée de la nuit est soudaine. Là, plus que partout ailleurs, « à un pas se trouve l’obscurité ». Vous regardez le soleil couchant et l’obscurité est derrière vous. La « mâchoire des ténèbres » est pour nous une figure de style, mais pour eux, il s’agit d’une réalité.

Elles se referment sur ​​vous comme pour dévorer leur proie, subrepticement, rapidement, en silence. Quoi d’autre que le serpent, avec son furtif glissement et jaillissement instantané, pourrait être adopté comme un premier symbole de la nuit ? Horapollo dit que les Égyptiens représentent la bouche par un serpent, « parce que le serpent n’est puissant dans aucun de ses membres sinon sa gueule ». Le serpent est entièrement gueule et, à comme ru et tet, il porte le nom de la bouche en égyptien. Dans les langues africaines, la bouche et le serpent sont souvent synonymes. Les mâchoires des ténèbres sont donc un équivalent du serpent ou du dragon. On peut en déduire que le serpent fut l’une des premières personnalisations de la mort. Il a apporté la mort dans le monde. Lorsque le nuage sombre donnait la mort en foudroyant, il était le serpent. Lorsque l’eau noyait, elle était le serpent ou le dragon tapi là, pour éteindre la lumière de la vie comme Apophis, Akhekh, Nakak, Naga, Nocka, Nickur ou Nekiru ( un diable dans la langue africaine Yula) ; et Nick, Old Nick, le mal-être, ou les Raw-head-and-bloody-bones sont nos Typhon anglais.

Traduction française par Melmothia, 2015.

Notes :

[1] Mohout.

[2] Ritual.

[3] Records, vol II, p. 131.

[4] Ritual. ch. 98.

[5] Robertson, The History of America, IV, p. 124.

[6] Book of the Beginnings, vol II, p. 649.

[7] Ch. vii. 29.

[8] Shortland, Traditions, p. 55.

[9] Grey, Polynesian Mythology.

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