Kenneth Grant

Né en 1924 en Angleterre, le jeune Kenneth Grant se passionne très tôt pour le monde occulte. Ses premières expérimentations magiques ont lieu, si l’on en croit ses dires, en 1939, alors qu’il est à peine âgé de 15 ans. Il racontera être entré en contact, à cette époque, avec une entité nommée S’lba, à laquelle il consacrera trois chapitres de son ouvrage Outer Gateways.

À l’âge de 18 ans, il s’engage dans l’armée en espérant être envoyé en Inde et y trouver un « guru », mais avant même de quitter le sol anglais, il est réformé et renvoyé chez lui en raison de problèmes médicaux.

Le portrait de Lam. Originellement publié dans la revue The Equinox en 1919.
Le portrait de Lam. Originellement publié dans la revue The Equinox en 1919.

En 1944, il parvient, à force d’obstination, à entrer en contact avec Aleister Crowley, alors âgé de 69 ans et après quelques échanges de lettres, devient son élève et secrétaire. Il est initié dans l’Astrum Argentum ainsi que dans l’Ordo Templis Orientis sous le nomen d’Aossic. Mais, quelques mois plus tard, les poches vides, l’apprenti magicien se voit contraint de quitter son poste de secrétaire peu ou prou bénévole pour trouver « un vrai travail » ; il rentre alors à Londres et ne reverra plus Crowley de son vivant. Entre temps, le mage lui a manifesté confiance et enthousiasme, et peu avant son départ, après une nuit passée au chevet du maître à lui tenir la bassine à vomi, lui a offert en guise de remerciement, le portrait de Lam dont Grant filera la mythologie avec enthousiasme dans plusieurs de ses livres, particulièrement dans Cults of the Shadow et Outside the Circles of Time.

Sur cet élève studieux, Crowley ne fera qu’une critique, reprochant à Grant d’écrire dans un style « obscur » et de compliquer les idées simples. Qu’Aleister Crowley, connu pour ses opacités stylistiques, ait trouvé Grant difficile à décrypter vous laisse deviner les affres de perplexité dans lesquels la prose typhonienne est susceptible de plonger le lecteur.

En 1946, Kenneth Grant épouse sa fiancée Steffi qui mettra dès lors ses talents d’illustratrice au service des œuvres de son mari. Ultérieurement, elle coécrira même un ouvrage avec lui.

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De l’OTO au TOTO

Originellement fondé par l’Autrichien Karl Kellner sur le modèle de la franc-maçonnerie, puis passé des mains de Theodor Reuss à celles d’Aleister Crowley en 1923, l’Ordo Templis Orientis est l’une de ces nombreuses organisations prétendant apporter à ses membres sagesse et connaissances transcendantales à condition que ceux-ci acceptent de passer consciencieusement les grades et de porter le costume folklorique durant les rituels.

En 1947, Aleister Crowley décède d’un malaise cardiaque et l’occultiste Karl Germer se retrouve propulsé à la tête de l’O.T.O. international, ou plutôt de ce qu’il en reste, puisque seule l’Agapé Lodge en Californie a survécu à la Seconde Guerre mondiale. Tandis que Germer enfile son costume neuf de grand maître, Grant s’en va fonder une branche anglaise. Tout se passe à peu près bien jusqu’en 1954.

Un petit groupe s’étant formé autour de lui, comprenant notamment David Curven, une certaine Clanda et, bien entendu, Steffi, en 1954, Grant décide de fonder la New Isis Lodge dans le but de développer son propre système magique et de redonner un peu de sang neuf à l’O.T.O. Mais lorsque l’année suivante, lorsqu’il annonce la découverte du courant Sirius/Seth dans un manifeste destiné aux membres de l’ordre, Germer en désaccord profond avec les idées de Grant le vire de l’O.T.O. sans ménagement.

Sans se démonter, Grant s’en va fonder le Typhonian Order, également connu comme le « Typhonian Ordo Templi Orientis » (le T.O.T.O. donc…), bien que la structure et les buts de l’ordre soient totalement différents, pour ne pas dire opposés, à ceux de l’O.T.O. Califal. Le TOTO tout neuf va absorber la Nouvelle Loge d’Isis – plus tellement nouvelle, du coup.

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Le Zos Kia Cultus

Entre temps, Steffi a mis son époux en relation avec Austin Osman Spare dont Grant admire l’œuvre. Il noue rapidement une relation amicale avec l’artiste au point de devenir son exécuteur testamentaire. Cet accès privilégié aux œuvres de Spare, notamment les textes inédits, lui permettra, après la mort du peintre, d’être en première ligne pour la diffusion de ses idées ; il le fera principalement par le biais de deux ouvrages : Images and Oracles of Austin Osman Spare (1975) et Zos Speaks ! (1998) et de chapitres épars dans ses autres livres.

Oeuvre d'Austin Osman Spare extraite d'un catalogue d'exposition.
Œuvre d’Austin Osman Spare extraite d’un catalogue d’exposition.

Ayant connu Crowley durant ses années de vieillesse et travaillant après la mort du mage de concert avec John Symmonds, son exécuteur testamentaire, Grant se trouve donc être un témoin privilégié de la vie et l’œuvre de deux magiciens parmi les plus importants de l’ère moderne.

Un état de fait somme toute regrettable si l’on considère la tendance de Kenneth Grant à arrondir les angles historiques pour les faire entrer dans la sphère de ses théories personnelles. À l’instar de Spare qui préférait, dit-on de beaux mensonges à la réalité, Grant s’arrange avec le passé. Nous voilà donc avec un gâteau à double génoise de possibles divagations.

Ainsi, Grant rapporte avoir fondé avec Spare en 1954, l’année même de la création de la New Isis Lodge, le « Zos Kia Cultus », un groupe magique à effectif très réduit. Or le peintre n’a jamais mentionné dans aucun de ses textes appartenir à un tel groupe. D’une façon générale, un certain nombre d’affirmations de Grant, passées dans le « folklore occulte » et désormais admises comme des vérités, semblent tenir davantage du mythe ou de l’anecdote brodée que de la réalité historique. C’est le cas, par exemple, du fameux personnage de madame Paterson, soi-disant descendante des sorcières de Salem et dont Spare aurait reçu l’héritage magique, si l’on en croit Kenneth Grant qui empile les anecdotes à son sujet. Or, si Spare a bien relaté avoir rencontré cette femme dans son enfance, il n’en a jamais parlé dans ses ouvrages et n’en a fait mention que de façon très allusive à son entourage.

Mais c’est que la filiation Spare /Paterson, filée jusqu’au lovecraftien « Ye Elder Paterson » est bien utile à Grant pour alimenter sa théorie d’une filiation remontant des mages modernes à l’Égypte antique et aux Grands Gluants mis en scène par H.P. Lovecraft.

À cela, il faut ajouter l’écriture particulièrement obscure des deux hommes. Que la postérité nous ait gratifiés des délires amphigouriques de Grant pour élucider les éructations dyslexiques de Spare constitue d’ailleurs, selon moi, une preuve incontestable que nous sommes bien dans le Kali Yuga.

À la fin des années 1960, dans un article pour le Times International, Grant annonce qu’il a rédigé une étude sur l’œuvre de Crowley intitulée Aleister Crowley and the Hidden God. Le texte sera signé aux éditions Frederick Muller qui le scindent en deux volumes dont le premier paraît sous le titre The Magical Revival en 1972.

S’ouvre alors pour Kenneth Grant le début d’une carrière qui couvrira une cinquantaine d’années et se poursuit encore. Poussée sur un double terreau de thélémisme et de Zos Kia, son univers magique se caractérise par son originalité et l’influence déterminante qu’il aura sur la magie moderne, notamment sur le développement de la Chaos Magic et la diffusion des idées de Crowley et de Spare. Outre un goût marqué pour la filiation marabout-bout de ficelle et la guématrie fantaisiste, Kenneth Grant se démarquera en introduisant dans la magie les fictions de l’auteur H.P. Lovecraft et en semant de petits cailloux noirs le sentier des qliphoth – démarche qui aura pour conséquence de rendre très tendance jours la fameuse « voie de la main gauche », à savoir un chemin serpentant quelque part entre l’abîme sans fond et le club échangiste.

Melmothia, 2009.

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