Wisconsin Death Trip

En 1973 l’Amérique découvre Wisconsin Death Trip un livre signé Michael Lesy qui devient immédiatement un best-seller. L’ouvrage, abondamment illustré de photos d’époque, relate une série de faits divers ayant eu lieu à Black River Falls, une petite ville du Wisconsin à la toute fin du XIXe siècle. Ce coin de campagne, tout à fait tranquille, connut durant un peu plus d’une décennie, un nombre sans précédent de meurtres, suicides, plongées dans la folie. Puis la vague de démence qui s’est emparée de la ville retomba, sans explication aucune, malgré les enquêtes a posteriori des sociologues et historiens dont les hypothèses seront destinées à dégringoler les unes après les autres.

James Marsh réalise en 1999 un faux documentaire ou « docu-fiction » à partir du livre. Il récupère les photos de Charles Van Schaik, les mêle à des saynètes en noir et blanc jouées par des anonymes. Les extraits de journaux seront lus par une voix off.

Wisconsin Death trip est une berceuse morbide, un cauchemar sucré dont le parti pris esthétisant plonge le spectateur dans des sentiments paradoxaux de douceur, d’horreur et de fascination. Le noir et blanc lissé des images où les personnages défilent comme au ralenti, est encore transfigurée par une bande son hypnotique : Arvo Pärt, Ligeti, Fauré.

1603620652_6d1fb50e4a_oOn y entre par un travelling au-dessus des eaux claires et miroitantes de la vallée. Les pieds nus d’un pendu se balancent dans un arbre. Cliquetis d’une machine à écrire. Des enfants dans leurs cercueils photographiés avant d’être enterrés selon la tradition d’époque, visages apaisés, blafards, serrés dans le capiton. La voix du narrateur évoque l’épidémie de diphtérie, le petit cadavre est porté lentement, encore souple, puis bordé par le linceul. Le photographe se met en place. Le flash éclabousse l’image noir et blanc au ralenti. Mary Sweeney, démente au visage impassible, brise des vitres. Le verre explose en chantant. 
Une femme en robe blanche assise sur la rive du lac regarde l’horizon. La belle eau claire scintille. Le narrateur nous dit qu’elle vient d’y noyer ses enfants. Mary Sweeney brise encore des vitres. Un homme s’allonge sur une pelouse, un bâton de dynamite comme oreiller. La mèche grésille. Travelling jusqu’à l’intérieur de la maison. La lumière de l’explosion illumine la pièce. L’image glisse jusqu’aux jeunes baptisés dont les vêtements flottent joliment sur la rivière. Le film glisse d’une saynète à une autre sur fond de murmures et de violons liquides. Famine. Une femme remue un bouillon où flotte une tête de mouton écorchée. Une autre prépare un potage aux rats avec des gestes amoureux. On retrouve Mary Sweeney internée puis relâchée. Son visage flouté derrière la vitre d’un train. De nouvelles vitres explosent.
Un homme tire sur la femme qu’il aime par jalousie avant de se faire sauter la tête. Elle tombe dans une chute de draps étendus sur une corde à linge. Lui survit à ses blessures…

Wisconsin Death Trip est un voyage atroce et lénifiant et tendre. J’ai eu la chance de voir ce bijou à l’Étrange Festival il y a quelques années, mais le film n’a pas eu hélas les honneurs d’une sortie en France. Il faut assumer la version originale pour déguster la pâtisserie : Wisconsin death trip.

Melmothia, 2005.

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