Les abus rituels sataniques aux USA – la panique du SRA

Cet article, originellement paru sur le site Greffier Noir en juin 2012, est publié ici avec l’aimable autorisation de son auteur, Virginie IKKY :

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Dans les années 80, un groupe de thérapeutes, travailleurs sociaux et auxiliaires de justice va semer la psychose aux USA sur les satanic ritual abuse ou SRA. Sur fond de christianisme évangélique, des enfants ou des adultes se disaient victimes d’une vaste conspiration occulte et de mouvements pratiquant la pédophilie rituelle de groupe ou le meurtre d’enfant. Avec la sortie du livre « Michelle remembers » et des affaires judiciaires retentissantes comme le procès Mcmartin ou les affaires du comté de Kern, l’Amérique va partir en croisade contre des satanistes qui n’existaient pas.

Publié en 1980, le livre, Michelle remembers est écrit par Michelle Smith et son mari, psychiatre, Lawrence Pazder. Cette autobiographie est la pierre angulaire du SRA et servira de modèle à la plupart des allégations de SRA qui suivront. La médiatisation très grande autour de l’ouvrage permettra à Pazder de s’instituer spécialiste du SRA, son livre étant même utilisé comme une référence par le ministère public au procès de l’école McMartin.

michelle-remembers-michelle-smith-lawrence-pazder_1Le livre fait l’apologie de la repressed memory therapy et rconte les années de thérapies de Michelle Smith, une canadienne traitée pour dépression, qui confia un jour à son psychiatre qu’elle sentait que quelque chose n’allait pas chez elle, qu’elle voulait se confier, mais qu’elle n’arrivait pas à le formuler. La patiente fut soumise à un traitement de choc de 600 heures d’hypnose sur 14 mois, dont la conclusion aboutit à la résurgence de souvenirs oubliés d’abus sexuels subis lorsqu’elle avait 5 ans, au sein d’une communauté satanique dont faisait partie sa mère, dans la ville de Victoria. Cette communauté aurait fait partie de l’Eglise de Satan, d’Anton Lavey, rendue fameuse notamment par la sortie du film Rosemary’s baby 15 ans plus tôt. Les rituels se seraient en partie tenus dans un cimetière de le ville. Michelle aurait été longuement maltraitée de 1954 à 1955 mais n’en aurait gardé aucune cicatrice car Jésus-Christ, la vierge marie et l’archange Gabriel seraient intervenus à son secours lors du rituel final, d’une durée 81 jours, au cours duquel le diable en personne se serait manifesté. Les anges gardiens de Michelle en aurait profité alors pour effacer ses mauvais souvenirs. Michelle aurait ainsi oublié les cages, les coups et les abus sexuels ainsi que les meurtres de bébés. Le livre connaîtra un grand succès critique, Michelle étant même reçue chez Oprah Winfrey avec Lauren Stratford, auteur de Satan’s underground, et clamant elle aussi avoir été victime de SRA. Lauren Stratford se distinguera ensuite en adoptant un nom à consonance juive et en prétendant avoir survécu à l’holocauste.

Peu de temps après la publication du livre, Pazder fut contraint de revenir sur son affirmation selon laquelle l’Eglise de Satan avait abusé de Michelle Smith, après qu’Anton LaVey (qui a fondé l’organisation en 1966) ait menacé de le poursuivre pour diffamation. Le père de Michelle tenta bien à la sortie du livre de défendre la mémoire de sa défunte épouse, mais l’article passa inaperçu. Lawrence Pazder devint l’expert du SRA, et de nombreux cas apparurent. En 1984, Pazder fut consultant dans le procès McMartin et il put donner des conférences aux services de police au sujet du SRA. Il fallut près de 10 ans avant la supercherie ne soit dévoilée.

En 1990, un article paru dans The Mail on Sunday expose des incohérences dans les allégations de Smith. Tous les témoins interrogés diront que la mère de Michelle était parfaitement normale et aimante, sans compter que jamais la moindre preuve judiciaire de l’existence de cultes sataniques n’a été apportées à Victoria. Aucun témoin ne peut indiquer que Michelle était particulièrement absente de l’école, ce qui ne cadre pas avec le rituel de 81 jours décrit par l’auteur. Au final, personne ne peut témoigner ou corroborer les allégations de Michelle Smith.

Mais en 1980, la repressed memory therapy est la nouvelle thérapie miracle. La croyance en ces thérapies alternatives va se propager rapidement dans les rangs des professionnels de la santé mentale (en dépit d’une absence de preuve) à travers une variété de séminaires et de formation continue. De nombreuses personnes s’érigent expert et drainent des fonds gouvernementaux considérables. En 1984, Kee MacFarlane, principale artisane du procès de l’école Mcmartin, témoigne devant le congrès. Peu de temps après, le Congrès américain double son budget pour la protection des enfants. Le psychiatre Roland Sommet donne des conférences dans le sillage du procès McMartin et accuse tout sceptique de faire partie du complot. En 1986, Carol Darling, un travailleur social clame devant un grand jury que le complot a atteint le gouvernement. Son mari Brad Darling donne des conférences au sujet d’un complot satanique créée dans l’antiquité qui imprégnerait désormais les communautés américaines. En 1986, le plus grand colloque sur la maltraitance des enfants a lieu en Australie, avec les piliers Kee MacFarlane et Roland Sommet.

En 1987, Geraldo Rivera célèbre journaliste de la TV américaine, diffuse une émission spéciale sur les cultes, affirmant qu’il y a plus d’un million de satanistes aux Etats-Unis liés à un réseau secret. En 1990, le psychologue D. Corydon Hammond publie une théorie détaillée de l’abus rituel tirée de séances d’hypnothérapie avec ses patients, alléguant qu’ils ont été victimes d’une conspiration mondiale usant la torture, le contrôle de l’esprit et l’abus rituel pour créer des petits soldats qui pourraient être « activés » avec des mots de code et formés à devenir des assassins, des prostituées, ou des trafiquants de drogue. Hammond disait que ses patients avaient révélé que le complot est orchestré par un médecin juif ayant fui l’Allemagne nazie, qui travaillait alors pour la CIA et que le culte serait composé de membres respectables et puissants.

La lutte contre le satanisme rituel gagne bien évidemment la justice et donnera lieu à des abus épouvantables. Les premières affaires judiciaires seront celles du comté de Kern, avec la dénonciation d’abus pratiqué sur les enfants du couple McCuan. Au départ, Becky Mccuan accuse son grand-père d’attouchements. Les parents portent plainte, mais cette affaire perturbe la belle-mère de Debbie Mccuan, Mary-Ann Barbour, qui est persuadée que ses petites filles ne sont pas suffisamment protégées par leurs parents. Elle est décidée à en obtenir la garde et reçoit le soutien d’un groupe de mères de Bakersfield. Mary-Ann se convainc qu’une secte secrète abuse des enfants dans le comté et que les Mccuan en font partie. Cette dernière va dénoncer à la police des abus sur les petites filles. Manipulées, les deux petites filles vont accuser leurs parents des pires sévices. Au fil des mois, les accusations deviennent de plus en plus sensationnelles : cages, snuff movie, sacrifices d’enfants…..

big_artfichier_287239_995261_201206225729735Elles vont également accuser l’entourage des parents, des amis qui auraient eux-mêmes abusé de leurs propres enfants, Scott et Brenda Kniffen. Séparés de leurs parents et placés, soumis à de longs interrogatoires, les deux fils Kniffen vont finir par accuser leurs parents également. En effet, Mary-ann Barbour a trouvé un redoutable allié au sein du système judiciaire, puisque le tout nouveau procureur de Bakersfield, Ed Jagels, a décidé de partir en croisade contre les abus d’enfants. De nombreux autres résidents du comté vont faire les frais de son aveuglement, tels que Margie Grafton, Tim Palomo, Grant Self and John Stoll. En 3 ans, 7 affaires d’abus rituels impliquant une soixantaine d’enfants ainsi que 29 bébés sacrifiés émergent. Tout le monde sera condamné puis libéré au prix d’années de prison. En appel, plusieurs avocats réussiront à obtenir les enregistrements des interrogatoires des enfants faisant entendre la suggestion des questions, voire des menaces pures et simples. On promettra par exemple aux enfants Kniffen qu’ils reverraient leurs parents s’ils confirmaient bien les accusations pesant sur eux. Les Mcuan et les Kniffen, après avoir été condamnés à la prison à vie, seront libérés et innocentés en 1996, après 14 ans de prison. Les enfants Kniffen soutiendront activement la libération de leurs parents. D’autres ne sortiront qu’en 2004.

En 1983, c’est le procès de la McMartin preschool (l’équivalent d’une crèche), qui enflamme les USA. Judy Johnson, une mère de famille, pense que son fils de trois ans a été violé par son mari, dont elle est séparée, ainsi que par Ray Buckley, qui travaille à la McMartin preschool. Les accusations de Judy vont crescendo : elle accuse d’autres personnes travaillant dans le système éducatif d’avoir des rapports sexuels avec des animaux, précise même que Ray Buckley est capable de voler… mais l’interrogatoire de Ray Buckley ne donne rien. La police envoie une lettre d’information à 200 familles pour les informer des soupçons d’abus sur leurs enfants. Ceux-ci vont alors être interrogés par le Children institute international à Los Angeles, où travaille Kee Macfarlane. Cette travailleuse sociale expérimente une méthode d’interrogatoire avec des marionnettes. Les enfants doivent pointés sur les jouets les endroits où ils ont été touchés. Le résultat de ces interrogatoires est plus que bizarre.

450 enfants interrogés auraient donc été victimes d’abus sexuels non seulement par le personnel de l’école mais également par de nombreux autres étrangers non identifiés, et dans différents lieux en plus de l’école McMartin : d’autres écoles, un marché, des églises, une morgue, une ferme, le cabinet d’un médecin, des entreprises….Ainsi que des tunnels situés en-dessous de l’école menant à une chambre secrète. Les enfants sont filmés et photographiés, subissent des viols collectifs, assistent à des sacrifices d’animaux, d’autres enfants, sont forcés de pratiquer du cannibalisme et soumis à une liste effarante de pratiques nécrophiles, scatologiques, ou zoophiles.

Les adultes pratiquent des rituels où ils sont habillés de robes noires, et chantent en cercle autour d’eux. Eu égard aux témoignages des enfants, l’enquête gagne d’autres écoles du coin. Le Children’s International Institute se base également sur des preuves médico-légales et indique que 80% des enfants montrent des signes extérieurs d’abus sur leurs organes sexuels ( cicatrices, saignements…). Des anciens élèves témoignent également. Des dizaines d’écoles sont ainsi perquisitionnées et quatre fermées. 6 années de procédure commencent, soit le procès le plus long de l’histoire des USA.

big_artfichier_287239_995271_201206225903928En mars 1984, 7 adultes font face à 115 chefs d’accusation d’abus d’enfants, portés par la suite à 321 : Virginia McMartin, Peggy McMartin Buckey, Ray Buckey, Peggy Ann Buckey ainsi que les enseignants Mary Ann Jackson, Betty Raidor, et Babette Spitler. Cette phase de pre trial est destinée à déterminer si des charges suffisantes justifient d’aller au procès. Tous les spécialistes de l’enfance en danger sont convoqués : Michelle Smith et Lawrence Pazder du côté des enfants, Richard Gardner du côté de la manipulation des enfants. Ce psychiatre est le père de la théorie du syndrôme d’aliénation parentale exposant que la plupart des accusations d’abus sexuels relève d’une manipulation maternelle visant à écarter le père de la vie de l’enfant. Une théorie qui n’a jamais été reconnue par l’association des psychiatres américains. Bref du grand n’importe quoi où chaque camp défend sa chapelle. Mais surtout, les témoignages des enfants vont se révéler inutilisables. En janvier 1986, le procureur Ira Reiner abandonne les accusations contre cinq inculpés. Ray Buckey et sa mère sont poursuivis pour 52 chefs d’accusation. En 1990, Peggy est acquittée après 9 semaines de délibération, et Ray condamnés pour 13 chefs d’accusation. Les charges contre Ray seront par la suite abandonnées. Les jurés expliqueront qu’ils pensaient que les enfants avaient effectivement été maltraités, mais qu’il n’était pas possible d’imputer ces mauvais traitements aux accusés.

Judy Johnson est morte durant le procès de l’alcool. En 1990, des parents des enfants ont embauché une équipe de scientifiques, avec mission de sonder le sous-sol de l’école pour y trouver la trace des tunnels. L’archéologue de l’équipe Gary E Sticke a clamé avoir la trace de remblais et de tassements de terre anormaux avec son radar et indiqué que ses constatations démontraient l’existence de tunnels qui avaient été remblayés pour les dissimuler lors de l’enquête. Des emballages et des ossements d’animaux avaient par ailleurs été retrouvés. Ces conclusions furent cependant largement remises en cause ainsi que l’impartialité de l’équipe. En outre, aucun matériel permettant d’étayer les fameux tunnels ne fut retrouvé. On voit mal alors comment les couloirs creusés à la main auraient pu tenir sans des éléments pour les empêcher de s’écrouler. Quand aux divers détritus, cela n’avait rien d’anormal de les y retrouver.

Cette débauche de moyens financiers au service d’enquêtes se terminant par des fiascos aussi retentissants va amener les autorités américaines à enquêter enfin sur le phénomène. Kenneth Lanning, agent du FBI spécialisé dans les abus sur enfants, a réalisé l’enquête la plus fameuse en 1992. Il a passé aux cribles les témoignages d’enfants ou d’adultes et catégorisé les allégations entre les faits impossibles  (corps démembrés et réassemblés), ce qui est improbable (vampirisme), ce qui est probable (pornographie infantile) et ce qui est prouvé médicalement, comme les abus sur mineurs. Lanning note que le nombre d’enfants enlevés et tués allégué par les partisans du complot est bien supérieur aux chiffres d’enlèvements d’enfants.

Ainsi, si on exclue les enlèvements intra-familiaux, environ 150 enfants sont enlevés par an aux USA, dont deux tiers sont âgés de 14 à 17 ans. Au plus fort de la panique, les anti-satanistes parlaient de 50.000 victimes annuelles. Par ailleurs, force est de constater que malgré des moyens importants mis au service de fouilles ou d’excavations, jamais il n’a pu être trouvé de restes humains compatibles avec les sacrifices décrits. Au final, Lanning conclut qu’il n’est pas pensable qu’une conspiration si étendue, dans des dizaines de villes et impliquant des milliers de personnes, puisse commettre ces atrocités en toute impunité. Il estime que si les victimes ont fait des témoignages aussi sensationnels, c’est qu’elles ont certainement subi un traumatisme, mais d’une autre nature à déterminer. Là est bien en effet le problème de cette vague d’abus rituels : en focalisant l’attention de la justice et du public sur une pédophilie hors du commun, elle a relégué au second plan les abus bien réels et quotidiens subis par les mineurs, qui sont en grande majorité pratiqués sans grand-guignol ni cérémonie à la gloire de satan. La panique SRA a malheureusement décrédibilisé durablement la lutte pour la défense des enfants, en fragilisant la parole des petites victimes et en ridiculisant les services sociaux et la psychothérapie.

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Virginie IKKY pour Greffier Noir.

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