Entretien avec Benjamin A. Vierling, par Julien Bert

Benjamin A. Vierling est un artiste connu pour ses œuvres mettant en scène des thématiques ésotériques. Né en 1974 aux États-Unis, il manifesta, dès sa plus tendre enfance, un vif intérêt pour les beaux-arts ; depuis lors, c’est seul qu’il étudie la peinture, en Amérique du Nord comme en Europe. Utilisant principalement une technique mêlant la tempera (ou peinture à l’œuf) et l’huile, son travail fait l’éloge d’un certain idéal esthétique : selon lui en effet, l’art possèderait cette faculté de réunir des paradigmes opposés et, à première vue, incompatibles. S’il a eu l’occasion de collaborer, à de nombreuses reprises, avec divers acteurs de la scène musicale extrême, tels que Nightbringer ou Watain, c’est bien l’illustration qu’il réalisa pour l’album IV: An Arrow In Heart d’Aosoth qui ne cesse de me hanter depuis le jour où je posai les yeux dessus, il y a de cela plusieurs années… Une œuvre qui me procure toujours autant d’émotions (et que vous retrouverez en détails ci-après). L’entretien qui suit témoigne de toute l’intelligence, la subtilité, la générosité et l’humilité d’un homme que je considère comme un véritable créateur…

Propos immortalisés par Julien Bert en février 2016…

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Mes salutations Benjamin… J’ai lu quelque part que tu avais développé une affinité pour les beaux-arts dès ton plus jeune âge… Quels souvenirs de cette époque gardes-tu ? Te sentais-tu différent de la plupart des autres enfants ? Tu as l’habitude de revenir sur le fait que ton père possédait une lithographie de cette fameuse peinture de Peter Bruegel, Chasseurs dans la neige ; une œuvre qui, selon tes propres mots, a eu un profond impact sur ta personne, alors que tu n’étais encore qu’un enfant… Quel type d’émotions ce tableau véhicule-t-il pour toi ? Quelqu’un a dit une fois, en parlant des artistes, « qu’ils étaient des enfants qui n’avaient pas encore grandi »… Que t’inspirent ces mots ?

Je garde des souvenirs très précis de plusieurs œuvres graphiques. Et je me revois aussi, enfant, être littéralement absorbé dans tout un tas d’activités touchant aux domaines de la création. En effet, je ne m’intéressais pas seulement à la peinture à cette époque, mais aussi à la musique, au théâtre et aux arts du spectacle. Mes deux sœurs sont danseuses professionnelles, et je dois dire que nous avons tous eu la chance, dans la famille, de pouvoir régulièrement assister à toutes sortes d’évènements culturels, qu’il s’agisse de représentations à l’opéra ou d’expositions dans des musées. Mais je ne me suis jamais senti particulièrement différent, non ; cela dit, un peu plus tard, durant mon adolescence, j’ai dû quitter mon environnement urbain et m’installer dans un village reculé et loin de tout, et il m’a donc fallu m’adapter à ce nouveau cadre culturel. C’est également là que mon intérêt pour la nature commença à s’éveiller, alors que je passais le plus clair de mon temps à vagabonder à travers champs et forêts.

Chasseurs dans la neige est effectivement une œuvre exceptionnelle, et après avoir grandi aux côtés d’une reproduction de ce tableau accrochée à la maison, il était tout simplement inconcevable pour moi de ne pas aller me confronter, physiquement, à l’original conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne. C’est d’ailleurs ce que j’entrepris de faire au cours de mon premier voyage en Europe, alors que je n’étais qu’un jeune homme. À travers cette peinture, Bruegel est parvenu à capturer l’idée de résilience dynamique dans l’esprit humain, ce dernier cherchant constamment à atteindre les sommets glacés. C’est une œuvre très forte, profondément ancrée dans les racines de la terre. Ce concept a contribué à me faire emprunter la voie qui est la mienne, aujourd’hui.

Quant à la dernière partie de ta question, je reste persuadé qu’une certaine forme d’émerveillement, presque naïve, est primordiale à qui souhaite accéder au véritable Esprit [1] créatif. Au même titre, d’ailleurs, que cette capacité qu’ont les enfants à envisager les choses sous une perspective différente. Ceci étant dit, choisir de s’engager sur le chemin du développement créatif et se confronter ainsi au travail démesuré que cela implique nécessite de devoir faire preuve d’une grande responsabilité. En ce sens donc, un artiste est un adulte profondément mature.

Chasseurs dans la neige, Pieter Bruegel, 1565.

Tu as affirmé, à plusieurs reprises, que l’une de tes ambitions était de pouvoir donner vie à des créations dans lesquelles les autres pourraient également se confronter à leurs propres rêves… Peux-tu nous en dire davantage à ce sujet ?

Tout ceci part du postulat selon lequel une image statique peut, potentiellement, atteindre celui qui la contemple à un niveau très profond. Que cet impact ait lieu à un niveau psychologique, spirituel ou émotionnel importe finalement assez peu ; le fait est qu’une puissante connexion s’établit, dès lors que l’œil se focalise sur une œuvre. Une fois ce processus assimilé, mon ambition est alors de tout faire pour que le spectateur expérimente, au travers de mes compositions, quelque chose de significatif pour lui, quelque chose qui résonne tant au niveau de sa conscience individuelle, que de la conscience collective primordiale. C’est la raison pour laquelle on retrouve dans mon œuvre des formes archétypales, ainsi que des thématiques intemporelles ; elles constituent en effet une espèce de fil d’Ariane entre notre passé le plus lointain et le moment présent.

D’après mon expérience personnelle, une image peut vous accompagner tout au long de votre vie (qu’elle soit associée à un événement heureux ou, au contraire, douloureux de votre existence), et prendre vie dans votre mémoire, avec pour conséquence d’ancrer plus solidement vos perceptions et d’enrichir votre vision du monde. Plus jeune, il m’est arrivé de me sentir profondément influencé par certaines œuvres. Ce me sembla être une noble entreprise que de m’efforcer de donner vie à des créations qui pourraient à la fois honorer ces impressions, et également, à leur tour, apporter quelque chose aux personnes qui se sentent comme « contraintes » de regarder.

Visum et repertum, Benjamin A. Vierling.

J’ai le sentiment que l’un de tes « objectifs », à travers ton travail d’illustrateur, est en quelque sorte de généraliser l’art et de le rendre plus facilement accessible à ceux qui n’ont pas l’opportunité ou l’habitude de fréquenter les musées…

C’est une bonne question et, effectivement, c’est vrai. On peut être profondément touché par une peinture, sans en avoir vu l’original dans un musée. De même qu’il n’est pas non plus indispensable de posséder des connaissances en histoire de l’art pour apprécier une image au fort pouvoir évocateur. Si une personne se montre suffisamment motivée et parvient à toucher du doigt les influences et traditions auxquelles je fais référence dans mon travail, alors je trouve ça fabuleux. J’encourage les gens à entreprendre ce genre de « quêtes », même si ce n’est nullement une condition pour apprécier une œuvre. Peu importe l’endroit où elle est exposée, une illustration ou une peinture de qualité repose avant tout sur sa valeur intrinsèque.

Tu collabores à une revue dédiée aux arts occultes du nom de Clavis. Quelle en est l’orientation conceptuelle ? Dans quelle(s) circonstance(s) as-tu rejoint l’équipe éditoriale de ce journal ?

Claviss’adresse aux personnes intéressées par les domaines de l’occulte, de la magie et du mystérieux, et propose des articles et illustrations dont les sources proviennent, pour certains, des temps les plus reculés, et pour d’autres, de l’ère moderne. La revue est publiée par l’intermédiaire de deux éditeurs très connus du monde de l’ésotérisme, et avec lesquels j’ai déjà eu l’occasion de travailler par le passé : Three Hands Presset Ouroboros Press. Plusieurs de mes œuvres ont déjà été reproduites et publiées dans ce périodique, et notamment celle intitulée Mandragora officinarum qui illustre un article traitant de cette célèbre plante magique, écrit par Sir James George Frazer en 1918 – un article que l’on peut retrouver dans le deuxième volume de la revue. Plusieurs autres de mes illustrations figurent dans le premier et le troisième volumes de Clavis.

Mandragora Officinalis, Benjamin A. Vierling.

Nombre de tes œuvres sont empreintes d’une aura mystique… Te considères-tu comme quelqu’un de spirituel et/ou religieux ? La plupart des artistes entretiennent-ils, selon toi, un rapport particulier avec ce qui touche à l’occulte ou au surnaturel ?

Je ne fréquente pas les églises, ni ne suis membre d’aucun cercle religieux en particulier ; cela dit, j’ai toujours été fasciné par les traditions religieuses, et précisément d’un point de vue artistique et esthétique. Ma propre relation au spirituel est profondément ancrée dans la terre, et je reste convaincu que l’esprit s’exprime par l’intermédiaire de la matière. L’élaboration de mon processus créatif constitue fondamentalement un acte de dévotion, une manière de donner naissance, à travers les rites d’un travail très méticuleux, à ce que j’appelle une vision intangible. Par le biais de mon travail d’illustrateur, j’ai eu l’opportunité de collaborer avec les représentants de différents ordres ésotériques. Pour chaque projet auquel je participe, je m’efforce de me montrer aussi réceptif que possible quant à l’axe principal qu’exige ce travail en particulier ; en outre, le fait de partager mes idées avec celles de mon client influence grandement, sur le plan créatif, le résultat final de la pièce (ndt : à ce sujet, voir le texte décrivant la mise en forme de IV: An Arrow in Heart, en fin d’entretien). C’est véritablement le cas, qu’il s’agisse de la commande d’un portrait ou d’une pochette d’album. Il y a tellement d’éléments à prendre en compte dans une image ; je me considère souvent, à cet égard, comme une sorte de guide ayant la faculté de synthétiser une myriade d’influences et d’objectifs différents.

Quant au postulat selon lequel les artistes entretiendraient tous plus ou moins un lien avec le surnaturel, je n’en sais vraiment rien. J’ai plutôt tendance à penser que les sources d’inspiration sont aussi diverses que le sont les médias employés. Certains artistes se considèrent eux-mêmes comme de simples exécutants – des « machines » – ou comme des individus capables de véhiculer de l’émotion pure ; d’autres enfin, élaborent leurs œuvres de façon purement intellectuelle et abstraite. Parmi toutes ces approches différentes, on trouve une poignée de génies qui parviennent à réaliser la synthèse de tous ces éléments, et à créer quelque chose dépassant les notions de style et de temps. Ce sont ces modèles d’inspiration qui, personnellement, me servent de guides dans mon travail.

Apocalypse Sun, Benjamin A. Vierling.

On retrouve dans tes œuvres de très nombreuses références à la tradition hermétique, comme par exemple le parallèle établi entre macrocosme et microcosme – le fameux axiome « Ce qui est en Haut est comme ce qui est en Bas »… À titre personnel, te sens-tu plus proche d’un courant ésotérique en particulier ?

J’ai tendance à graviter autour des domaines que sont l’hermétisme, l’alchimie et l’astrologie, et ce, en raison de leur complexité, de leur profondeur, de l’étendue de leur champ d’application et de leur vaste héritage historique. Il est possible, par l’intermédiaire de ce langage symbolique, d’identifier certaines formes archétypales, depuis les périodes les plus reculées de l’Antiquité, jusqu’à nos jours. Étant moi-même inspiré par la mythologie classique, je trouve aussi très enrichissant le fait de pouvoir retrouver – et notamment dans l’art – tous ces personnages et légendes issus de l’histoire des traditions ésotériques. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un certain attrait pour les mythologies folkloriques et régionales ; en outre, j’ai participé à différents projets abordant de très nombreux sujets et thématiques occultes.

Sur un plan bien plus terre-à-terre maintenant, je suis convaincu que nos expériences sont modelées par notre façon de percevoir les choses, et que l’art constitue certainement l’une des méthodes les plus directes visant à influencer ce continuum. Il s’agit, pour l’essentiel, de l’idée – « magique »–selon laquelle il est possible de modifier la réalité à travers l’art, en atteignant un équilibre entre esprit et matière. C’est en ce sens que l’axiome « Ce qui est en Haut est comme ce qui est en Bas » se manifeste littéralement, influençant par là même l’expérience de chacun en ce monde, par une altération de la conscience. L’art apparaît, tout au long de ce processus, à la fois comme un verrou et une clé.

On the Powers of the Sphinx, Benjamin A. Vierling.

J’apprécie tout particulièrement l’une de tes œuvres utilisée pour illustrer la couverture de la version vinyle de l’album Munly & The Lee Lewis Harlots, fruit de la collaboration entre l’artiste canadien Jay Munly (rock/country) et le groupe The Lee Lewis Harlots… Tu as choisi d’intituler cette pièce Zhar-ptitsa – The Firebird, en référence à cet oiseau légendaire issu du folklore slave… Comment décrirais-tu cette œuvre ?

Merci beaucoup à toi ! Effectivement, cette pièce se veut un vibrant hommage à la légende slave de l’Oiseau de Feu, cette fameuse créature magique dont l’homme en quête de savoir s’inspire avant d’embarquer pour un voyage difficile et empreint d’adversité, et pourtant guidé par la chance. Dans ces légendes, toutes plus envoûtantes les unes que les autres, l’Oiseau de Feu abandonne souvent derrière lui une plume de lumière, cette dernière jouant le rôle de catalyseur. Roi, fou, canaille, guerrier…, tous prêtent attention à l’appel qui les fera rencontrer leur destin, sur le sentier illuminé par le passage de l’Oiseau de Feu.

Les racines stylistiques de cette peinture proviennent de l’iconographie propre aux objets d’art russes, traditionnellement illustrés de scènes mythologiques. Le large éventail de couleurs, ainsi que les nombreuses formes en mouvement que l’on peut voir sur la peinture (que je comparerais volontiers à des pierres précieuses jetées en vrac sur un champ nu) ont été mises en avant dans un style proche des illustrations ornithologiques du XIXesiècle ; des œuvres au sein desquelles la structure subtile des plumes et des serres est rendue avec la précision d’un naturaliste.

Je dois préciser que ce travail m’a aussi été indirectement inspiré par un ami à moi, d’origine russe, qui avait eu la gentillesse de m’offrir une magnifique boîte ornée d’éléments empruntés à ce thème. Elle contenait une plume rouge, celle-là même que l’on retrouve dans le bec du petit oiseau bleu de mon tableau. Ce sont ces interactions, fortuites et inopinées, entre l’art et la vie en général qui attisent les flammes les plus vives de l’inspiration.

Zhar-ptitsa – The Firebird, Benjamin A. Vierling.

Tu travailles depuis plusieurs années en compagnie de Daniel Schulke sur un projet d’illustrations destinées à orner les pages d’un livre traitant des propriétés spirituelles et magiques des plantes. La publication de cet ouvrage est prévue pour le courant de cette année [2]. Peux-tu nous en dire davantage quant à cet ambitieux projet ? À qui ce livre s’adresse-t-il en priorité ? Tu avais déjà collaboré avec D. Schulke par le passé, dans le cadre de Veneficium, une publication explorant les liens historiques entre poisons et sorcellerie… Sachant cela, j’aimerais connaître la nature de ta relation avec les plantes…

Effectivement, The Green Mysteries (« Les Mystères Verts ») est un projet « commandé » par Three Hands Press, sur lequel je travaille depuis plusieurs années maintenant ; et comme tu le soulignes, l’auteur de l’ouvrage n’est autre que Daniel Schulke. Il traite des propriétés spirituelles et magiques des plantes, un sujet que Schulke maîtrise particulièrement bien, du fait de ses recherches en ethnobotanique et de son implication en tant que praticien dans le domaine de l’occulte. Celui-ci ayant pris le parti d’intégrer des éléments issus du folklore et de la mythologie à ses expériences personnelles, il ne fait aucun doute que cet ouvrage constituera une œuvre de tout premier plan, dans le domaine de l’usage mystérieux et ésotérique des plantes.

Les images elles-mêmes ont été façonnées après une étude approfondie de la tradition illustrative en botanique, une tâche qui a nécessité une somme de travail considérable de ma part, et notamment en termes de recherche. En tant qu’illustrateur officiel du projet, j’ai travaillé en très étroite collaboration avec l’auteur, afin de pouvoir insérer des éléments symboliques et allégoriques particuliers. J’ai également dû me familiariser avec les attributs physiques des différentes espèces de plantes, et avec les interprétations visuelles qui en ont été faites dans nombre de très anciens manuels. L’objectif est ainsi de pouvoir proposer quelque chose d’original et novateur, sur la base de cette très riche tradition illustrative, et cela, en veillant à conserver l’identité propre de chaque plante. On retrouve également, disséminées tout au long de l’ouvrage, de nombreuses compositions narratives destinées à offrir une vue sur les innombrables légendes qui entourent le royaume végétal.

Je crois savoir que tu puises une large part de ton inspiration dans la Renaissance… Sachant cela, quel regard portes-tu sur notre monde moderne ? Certains sont profondément convaincus que nous vivons les derniers souffles d’un cycle – le fameux Kali Yuga –, avant la venue d’un nouvel Âge d’Or… Es-tu de ceux-là ?

Il s’agit d’une question très intéressante, et qui mérite réflexion. Ma perception en la matière est guidée par mon examen du passé, et par la tentation qui est la mienne d’imaginer un futur en me basant sur les cycles passés. Il semble que la relation qu’entretient l’humanité avec la terre et la technologie ait subi de profonds bouleversements depuis quelques siècles ; une tendance qui continue de s’accélérer aujourd’hui. Quant à savoir pourtant, où tout cela va nous mener, je n’en ai personnellement aucune idée. Il est intéressant d’examiner les présages et autres prophéties issus de la mythologie, mais à mon sens, ils peuvent seulement nous être utiles en tant que guides, afin que nous puissions avancer dans le présent. Je ne pense pas que leur rôle soit de nous indiquer un futur d’une certitude absolue.

Mon attrait pour le romantisme n’est pas incompatible avec le fait d’avoir les deux pieds profondément ancrés dans le présent. Bien au contraire : je considère que les liens qui unissent l’Homme à la terre depuis ses débuts sont d’une importance cruciale, et d’ailleurs, ma capacité à adapter ma vision du monde en fonction de tout ce substrat mythologique et allégorique ne fait que renforcer ma sensibilité dans ce domaine. Je pourrais illustrer mon propos avec le remarquable exemple d’Alexander von Humboldt, naturaliste de l’époque baroque, qui réussit à intégrer son analyse scientifique dans une démarche artistique.

Mon intérêt pour cette période qu’est la Renaissance repose essentiellement sur des critères artistiques ; des critères qui se veulent aussi quelque peu limités par notre perception subjective de cette époque. En ce qui me concerne, cette période de l’Histoire a permis d’établir un très solide précédent montrant la voie aux structures artistiques à venir, ceci par la synthèse d’une vision, consciemment intellectualisée, des formes classiques du passé et leur intégration à l’iconographie médiévale. En termes d’esthétique, on peut suivre une espèce de fil conducteur depuis l’Antiquité, en passant par la Moyen Âge, la Renaissance, la période romantique, jusqu’à l’ère moderne. C’est cette tradition de continuité dans les formes sur laquelle je travaille et à laquelle je m’efforce de contribuer, par mes œuvres.

Night’s Passage, Benjamin A. Vierling.

Nous arrivons à la fin de cet entretien… Je te remercie infiniment d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions… J’admire tout particulièrement ton travail ; ce fut donc un véritable honneur… Je te laisse conclure à ta guise…

Lorsque j’étais encore un très jeune homme, j’ai traversé une période au cours de laquelle mon amour pour la peinture, et pour l’art en général, s’est lentement effrité ; j’avais ce sentiment que le fait de me lancer en tant qu’artiste constituerait une entreprise bien trop frivole et décadente. À ce moment-là pour moi, l’art ne participait plus à la construction d’un monde meilleur, ou même à l’éveil des gens vis-à-vis des défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés, en tant qu’intendants de cette planète. Ma critique venait de l’observation que de trop nombreuses entreprises artistiques ne possédaient qu’une vision purement hédoniste des choses, sans réelle perspective de ramifications futures.

Cet épisode de résignation futile prit fin, dès lors que je commençai à réaliser que toutes choses, en ce monde, sont reliées les unes aux autres, peu importe la façon. L’art demeure le pont le plus solide entre mythe et réalité, la voie la plus directe afin d’entrevoir les liens qui existent entre les formes. Il se veut le reflet de l’histoire que l’humanité écrit pour elle-même, au fur et à mesure de son évolution ; un mythe qui, à son tour, influence notre conscience du monde et de nous-mêmes. Lorsque je compris que l’art était au service de quelque chose de plus grand que la simple gratification personnelle, mes doutes se dissipèrent et je fus alors en capacité de reprendre mon pinceau.

Merci beaucoup de m’avoir offert l’opportunité de m’exprimer ici. Je salue toutes celles et ceux qui décident d’entreprendre ce périple créatif, qu’ils soient eux-mêmes artistes, guides ou simples spectateurs !

http://www.bvierling.com

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« L’œuvre utilisée pour illustrer « IV: An Arrow in Heart » est le fruit d’une collaboration étroite entre Hervé et moi-même ; elle reflète la vision qu’a ce dernier de l’archétype représenté par la figure d’Aosoth. En tant que fan de longue date des compositions démoniaques du groupe, l’inspiration a toujours été au rendez-vous, lorsqu’il s’est agi de collaborer avec Aosoth. Tout a débuté par la gravure monochrome réalisée par mes soins pour la pochette de la version instrumentale du troisième album du groupe, « Variations of Violence ». Puis, nous en sommes naturellement venus à envisager cette variante bleue, beaucoup plus intimiste, qui allait être utilisée pour « IV… ». Au bout du compte, le motif, dans son ensemble, a beaucoup évolué pour prendre la forme aujourd’hui, avec « V: The Inside Scriptures » (le cinquième album, paru en novembre 2017), d’une mise en scène bien plus complexe et lumineuse : Aosoth porte désormais les traits d’une icône puissante et diabolique. À titre personnel, je me considère comme un médium en termes de création artistique ; cela signifie que j’arrive à mettre en image certaines visions qui me sont transmises par le concept, la musique ou l’histoire des arts occultes. Lorsque je travaille pour Aosoth, je suis en quelque sorte contraint de mettre en image ce thème classique de « la Mort et la Vierge » qui illustre le conflit archétypal entre la beauté éphémère de la jeunesse, et le visage sinistre du temps. Je puise également mon inspiration à partir de certaines représentations des Saintes de l’époque médiévale qui eurent à endurer de terribles souffrances, avant d’atteindre des niveaux de conscience supérieurs. Autant d’éléments qui, pour ma part, contribuent à illustrer l’expérience auditive suscitée par Aosoth : parvenir à la gnose, après avoir traversé un état de délicieuse souffrance ».

Benjamin A.Vierling, à propos de sa collaboration avec le groupe Aosoth et de la mise en forme des traits de la déesse…

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Notes :

[1]   NdT : « Geist » dans le texte originel – mot allemand désignant l’« Esprit ».

[2]   Après moults retards, l’ouvrage devrait finalement être disponible dès le mois de septembre 2018, auprès de la maison d’édition Three Hands Press.

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