Galipettes Cthuloïdes | Rat Holes 2

Galipettes Cthuloïdes

Par Bill Siebert

Enfant, j’étais la proie de cauchemars – en partie dus à mon imagination galopante ainsi qu’à ma fascination pour les « monstres », en partie dus à la violence à laquelle je me trouvais exposé à l’école (celle d’autrui, tout comme celle des nouvelles télévisées ou des potins de quartier). Vers l’âge de 8 ans, Henri, l’oncle de ma mère, m’enseigna comment me réveiller en plein milieu d’un songe et la façon dont je pouvais utiliser le rêve comme un outil pour comprendre et améliorer mes relations avec le multi-univers au sens large.

En affrontant mes peurs personnifiées par les croquemitaines de mes rêves, j’ai entamé une danse créative avec Maya, cessant de réagir simplement aux créations d’autrui, à la façon d’un consommateur ou d’une victime du destin. Une fois cette nouvelle approche intégrée, les monstres sont devenus des amis et des guides plutôt que des prédateurs ou des bourreaux. Les étranges interpénétrations de mon corps par des géométries exotiques sont devenues agréables et non plus invasives ou menaçantes.

Il y a environ 2 ans, j’ai commencé à travailler consciemment avec les énergies et entités des mythes de Lovecraft. Au début, je me sentais comme un rat des champs dans un monde peuplé de hiboux, faucons et serpents à sonnettes. Mais plus je progressais dans mes explorations, plus je me rendais compte que la nature de ma relation avec une énergie / entité était uniquement déterminée par moi-même & l’énergie / entité en question – indépendamment des stéréotypes.

Ce revirement a pris tout son sens pendant un rêve initiatique qui eut lieu (si ma mémoire est bonne) il y a environ 10 ans (selon les repères temporels utilisés dans la dimension dans laquelle j’écris cette note).

Je faisais partie d’une équipe de recherche de l’Université de Miskatonic explorant à bord du sous-marin le Grendal au large des côtes à proximité de R’Lyeh. J’étais nu, seulement équipé de bouteilles de plongée et de quelques outils accrochés à une ceinture. Alors que le reste de l’équipe et moi-même défilions devant le commandant, il nous remit à chacun un sac à porter en bandoulière rempli de préservatifs. À cet instant, je sus (sans savoir comment), que Cthulhu nous attendait juste de l’autre côté du sas. Je savais que, pour éviter d’être fécondé par Cthulhu, j’allais devoir mettre un préservatif sur chaque tentacule, cil & autres protubérances que le Grand-Cthulhu pourrait tendre vers moi afin de communiquer ou pour des caresses exploratoires.

Pour être honnête, j’étais terrifié. J’ai également impatient. J’avais été préparé à ce moment depuis près d’une décennie. Pourtant, lorsque le sas fut tourné et que je fus éjecté dans la mer chaude, sous la lumière de la lune, je n’étais absolument pas préparé à l’Exstase initiatique qui suivit.

Pour commencer, je pouvais sentir. L’odorat est le sens qui compte le plus pour moi dans ma façon d’appréhender les flux d’énergie circulant entre les autres et moi lorsque je suis réveillé (ce qui explique, en partie du moins, mon aversion pour les fumeurs). Jusqu’à présent, dans le monde des rêves, j’avais été privé de mon sens de l’odorat. Mais à présent, j’étais inondé d’odeurs me pénétrant de tous côtés. Toutes érotiques. Toutes extatiques. Toutes invitantes. J’en voulais plus !

La géométrie de cette grotte sous-marine a suscité en moi un sévère vertige – mais ce n’était pas totalement désagréable. (la puissance pure est rare !) Il me semblait que le moindre faux pas pouvait précipiter mon décès – ou pire. C’était comme être en chute libre tout en essayant de naviguer dans une virelvoltante / ondulante / animée de pulsations demeure faite de miroirs. Le temps se pliait et se dépliait autour de moi. Chaque geste, chaque choix que je faisais ouvrait de nouvelles lignes temporelles/ fermait des univers entiers. Toutes mes pensées vagabondes se bloquèrent instantanément. Mon esprit semblait fonctionner plus vite. [Ou était-ce juste ma perception du temps qui se trouvait tellement accélérée que les éons me semblaient des instants ?]

J’abandonnais mes bouteilles de plongée et mon sac de préservatifs. Je n’aurais renoncé pour rien au monde à l’union totale ! De brèves visions de fécondation parasitaires et d’infestations défilèrent dans mon esprit. Je fis un instant le vide mental pour bannir l’image d’embryons pourvus de tentacules occupés à ronger mes entrailles. Durant cet instant de non-pensée, je m’ouvris totalement. L’odeur était délicieuse. Idem pour la sensation. J’abandonnai finalement cet état de suspension des pensées pour me tenir ce raisonnement : si je refusai de faire confiance à ce que me disaient mes propres sens hyperdéveloppés, en qui ou en quoi pourrais-je avoir confiance à l’avenir ? Défiant le courant, J’ai nagé vers mon amant exotique.

Cthulhu m’a caressé et m’a pénétré par tous les orifices imaginables – mon cul, mes yeux, mes oreilles jusqu’aux pores de mes plantes de pieds. Chaque pénétration était extatique / orgasmique / informative. Je puisais du prana directement dans l’érogène eau salée. Je n’avais pas besoin d’air pour respirer. Je me suis empli de l’essence et la substance de Cthulhu. À mon tour, j’ai éjaculé dans Cthulhu, dans un flux continu, durant des heures. En nous grandirent des intelligences embryonnaires hybrides. Du point de vue de Bill Seibert, il / je / nous avons senti qu’ils parvenaient à maturité dans son cerveau et dans sa colonne vertébrale. Je [c’est-à-dire l’ego de Bill] pus alors appréhender la totalité de la conscience présente en moi / nous.

Je / nous sommes devenus l’enfant de mon / notre union avec Cthulhu – un ouroboros suçant les œufs de sa propre queue. Auranos [1] en tant qu’abeille et pollen à la fois.

D’après ce que j’ai pu comprendre, le temps s’écoule différemment dans le plan où Cthulhu est éveillé et orgasmiquement actif, qu’il ne le fait dans l’ici et maintenant. Au matin [quand je me suis réveillé dans mon corps d’homme], j’étais des siècles plus mature que la nuit précédente. Pourtant, j’étais également plus jeune. Sur le plan physique, je ne suis plus tout à fait humain. Mon médecin m’a dit une fois en plaisantant que j’avais l’électrocardiogramme d’un cadavre. Ou d’un zombi. Il a recommencé le test et mon ECG était cette fois normal. Des pensées parasites peuvent gâcher un ECG, ainsi que lecture d’un EEG. Mon taux de sucre dans le sang, mes taux hormonaux, etc. sont davantage des excroissances de ma pensée consciente que le résultat de mon alimentation ou d’autres facteurs environnementaux. Des organismes qui agiraient comme des parasites pour les autres humains, vivent avec bienveillance dans mon sang et sous ma peau, sauf quand je me laisse aller à une nuit obscure de l’âme.

Si je mets en tête l’idée d’imposer ma volonté à l’univers, je suis certain de rencontrer des énergies et des entités qui vont travailler dans le sens de ce désir. Si je cherche à contrôler ou à dominer alors j’aurais affaire à des entités qui chercheront à leur tour à me dominer. Personnellement, je préfère interagir en symbiose avec chaque entité / énergie que je rencontre. La synergie ludique me semble beaucoup plus efficace que les vieilles ambitions hiérarchiques des anciens éons, provenant de l’ignorance de nos ancêtres et de leur impuissance à comprendre leur propre fonctionnement psychologique.

En travaillant avec les Grands Anciens Lovecraftiens, d’anciennes divinités & d’autres énergies et entités, je n’invoque ni ne suis convoqué. Au contraire, je m’ouvre à une expérience consciente de elle / il / ils / ce que je cherche. Parfois, je suis visité par ces énergies, tandis que d’autres fois, je vais vers elles. Mais la plupart du temps, une telle distinction serait absurde, car il y a des parties de moi qui s’identifient fortement à l’humain Bill Seibert, tandis que d’autres parties de moi s’identifient avec les entités érotico-intelligentes qui communient avec l’humain Bill Seibert. En un sens, ma communion / communication avec ces entités ou énergies est permanente. Le travail invocatoire me sert surtout à être davantage conscient de ce qui est en train de se passer.

Ma relation avec les entités / énergies dans ce domaine est essentiellement sexuelle – c’est-à-dire qu’il s’agit d’interpénétration. Je / nous / ils échangeons ce qui pourrait être considéré comme l’équivalent non physique de nos codes génétiques. Ces échanges ne peuvent avoir lieu [d’après mon expérience] sans une confiance, une coopération, et une ouverture intégrale et extatique. Dans ce domaine, les rapports de force [viol, duplicité, etc.] et autres jeux de pouvoirs ne sont pas seulement improductifs, ils semblent tout simplement ne pouvoir avoir lieu [pour moi, en tout cas].

Le principal outil que j’utilise pour m’ouvrir aux énergies de la dimension lovecraftienne est le vévé ci-dessous. J’ai façonné l’original de mémoire après une visite éclair de sa version macrocosmique sur le dos d’Ithaqa, le Dieu qui Marche dans le Vent, il y a une quinzaine d’années. J’ai ensuite ajouté les étiquettes appropriées [noms de divinités] après les avoir traduits en Enochien :

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Au fil des années, j’ai appris à considérer que mon cerveau humain n’est qu’un minuscule appendice de mon esprit. Mon cerveau humain est [par nature] incapable de contenir les énergies brutes du cosmos. Cependant, mon esprit est capable d’interagir à égalité avec les entités les puissantes que j’ai pu rencontrer jusqu’ici. Pas les contenir. Ni les contrôler. Mais fusionner et partager [artistiquement / sexuellement / mathématiquement] avec elles.

L’humanité est par nature plutôt fragile. Pourtant, j’ai choisi de ne pas cacher mon humanité. De mon point de vue, cette fragilité est l’un des traits les plus précieux de l’humanité à avoir perduré ! L’ouverture et la curiosité couplées à la fragilité semblent engendrer tendresse et patience chez ceux qui possèdent une prédilection instinctive ou délibérée pour « materner ». Quand je suis en phase d’exploration, je salue l’Inconnu et interagis avec une tendre exubérance. [Quand je me sens incapable d’être ouvert ou exubérant, je suis un ermite qui évite tout contact avec l’inconnu] Je n’ai aucun intérêt à entamer des bras de fer avec des monstres – je préférerais encore que nous nous détruisions nous-mêmes ! Si je devais cacher mes faiblesses, je sens que je pourrais être [involontairement] broyé ou consommé au cours de ces galipettes sauvages.

Note de l’auteur : Cet essai, sans encre ni papier, est placé sous le © Immortel. Si ce texte vous a apporté quelque chose, vous êtes tenus par la vertu de ce © de partager quelque chose en retour. Je ne vous demande pas d’argent. Je veux découvrir votre art, vos écrits. Je veux entendre votre musique et taper à la porte de vos rêves autant que se puisse faire. Si je meurs et que je me réincarne dans ce monde, je veux être capable de localiser les œuvres de ceux que j’ai influencés et peut-être ainsi, me souviendrai-je plus facilement de qui je suis et je saurais alors comment rêver de plus grands et plus fascinants songes que ceux que j’aurais jamais pu élaborer tout seul.

Titre original : « Cthulhuoid Copulations », par Frater AshT-Chozar-Ssaratu, Miskatonic Alchemykal ExpeditionNew Orleans, 2001 e.v. Traduction française par Melmothia, 2009.

[1] Auranos est une graphie particulière du nom Uranus utilisée par les membres du groupe The Chthonic-Auranian OTO, fondé en 1985 par Cliff Pollick, Sam Webster et Bill Siebert (l’auteur de l’article). Auranos y est perçu comme le parèdre extra-terrestre de Chthonia, l’aspect sombre de Gaia.

Illustration : The Rise of Cthulhu, Reiner Zaminski, 2005.

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