Egout et des Couleurs


Les quatre courts-métrages qui composent la série des Guinea Pigs du japonais Hideshi Hino sont homogènes en thématique, à défaut de l’être en qualité. 

Tous ont en commun de faire sploash-beuark dans votre estomac. Sortis à la fin des années 90, à l’instar des mangas de ce dessinateur, on y savoure sévices, mises à mort et putréfaction. Des scénarios qui tiennent en une ligne donc. Une anecdote, ou plus probablement une légende urbaine, voudrait que Charlie Sheen, visionnant « Flowers of flesh and blood », le plus violent et le plus célèbre des quatre courts-métrages, ait cru se trouver en possession d’un vrai snuff et l’ait porté au F.B.I. qui a ouvert une enquête…

Ennuyeux comme un roman de Sade me direz-vous ? Oui et non. D’abord parce qu’ils parviennent assez efficacement à vous faire régurgiter votre quatre-heure, ensuite l’un de ces courts, le deuxième précisément du premier Guinea Pigs, est arrivé à me toucher – comme quoi, avec un peu d’imagination on peut trouver de la poésie partout. L’histoire est simple : un peintre trouve une sirène, il ramène chez lui et la regarde pourrir dans sa baignoire.

Le héros de « Mermaid in a manhole » fréquente assidûment les égouts. En voix off, il nous dit regretter son enfance où une vraie rivière, avec des poissons et des libellules, coulait par là. C’était beau à l’époque. Mais il faut bien s’adapter, à présent il a son content de gros vers gluants et de rats crevés, immondices variés, vieilles godasses et barils flottants. Entre deux poignées de lombrics, il découvre une sirène mal en point et se souvient qu’il l’a déjà aperçue, il y a fort longtemps, dans les parages. Elle est très belle, douce et agonisante. Condamnée, elle lui demande de la peindre ; il la ramène chez lui et commence son portrait, tandis qu’elle faisande.

Mermaid in a manhole (Za Ginipiggu 4 : Manhoru No Naka No Ningyo), Hideshi Hino, 1988.
Mermaid in a manhole (Za Ginipiggu 4 : Manhoru No Naka No Ningyo), Hideshi Hino, 1988.

Le pauvre fait ce qu’il peut, mais évidemment, le sang, les lombrics, le pus, tout ça dégouline plus promptement qu’il ne parvient à peindre ni écoper. La belle fébrile et avariée lui glisse entre les doigts. Moment délicieux où il attaque les abcès au rasoir et constate qu’il en coule un pus de sept couleurs différentes. Il va d’ailleurs se servir de ce pus pour son tableau – c’est plus réaliste. Ensuite viennent les asticots.
 Des barils entiers de vers qui s’extirpent des bubons pour aller danser la gigue dans la baignoire. Splosh-blaeurk-spluish-spluish-floarp… Et notre pauvre peintre passe derrière pour nettoyer, mais ça suinte nettement plus vite qu’il ne joue de la serpillière.

Durant vingt minutes, on assiste à la longue et cradingue agonie de la fille des flots. Régulièrement, le spectateur se dit « ça y est, elle est raide »… Et puis elle pousse un eark ! et c’est reparti pour un tour.
 Les voisins pendant ce temps font ses poubelles et se scandalisent d’y trouver de gros bouts de poissons. Plus tard, ils y trouveront des tranches de sirène, car à défaut de finir sa toile, c’est elle que le peintre va finalement achever, à la hache.

Un court profondément pessimiste auquel je m’entête à trouver de la beauté. Dans la quête dénaturée du héros, ses idéaux consumés, son deuil de toute beauté. On peut y voir un pur défouloir gore, un pamphlet contre la pollution (jeter des ordures c’est mal, ça fait pourrir les sirènes), mais j’y discerne plutôt une parabole sur l’art qui échoue à faire tenir debout ce qui se délite et gangrène : non-non, messieurs-dames, on ne peint pas, on n’écrit pas, en réalité on écope ! Mais il ne faudrait surtout pas se faire d’illusions, l’entropie va plus vite que nous.

Allez, faites passer la serpillière, ma sirène a des cloques.

Melmothia, 2008

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