Vider les Cieux

On est à la fin du 19e siècle. Depuis quelque temps, les tables mettent moins d’entrain à tourner et alors même que Kardek vient de fonder son Église, la science décide que les communications avec l’au-delà ne valent décidément pas le détour. Sur les cendres des tables tournantes va naître la parapsychologie, dont l’idée fondatrice, celle qui lui permet de se dissocier du spiritisme mourant et de prétendre au statut de science, est de rabattre les phénomènes sur l’homme. On ordonne aux fantômes de vider les lieux, on balaie tout ce qui pourrait véhiculer un parfum de métaphysique. C’est la condition nécessaire pour donner à la discipline un soupçon de légitimité, car si la science peut éventuellement tolérer une poignée de ‘pouvoirs psi’, les trucs invisibles qui flottent en l’air la dégrisent tout de suite.

Cette dynamique, à savoir vider les cieux et tasser les causalités dans la matière — allez, les filles ! On rentre là-dedans ! – est également celle qui préside à la psychologie moderne, celle-ci opposant aux chamans et sorciers traditionnels, le concept de ‘pathologie mentale’, sorte de vice de fonctionnement à la charge de l’humain :

« La société moderne propose un univers unique et purifié ; l’être humain y est seul ; la folie est une maladie ; elle réside dans le sujet ; les esprits invoqués par les guérisseurs traditionnels ne sont que des projections symboliques des processus intrapsychiques. Au contraire, la médecine traditionnelle extériorise les esprits et disjoint le symptôme du sujet. Dans le premier travail, on travaille si l’on peut dire avec un « endosquelette » psychique ; dans le second, avec un “exosquelette”. » [1]

Dans la foulée, la psychanalyse ira jusqu’à postuler une causalité psychique tellement tassée au fond qu’elle est cachée au sujet lui-même. Grâce à Freud, on sait que l’esprit est doté d’une poche kangourou pour planquer ses clefs.

Dans les années 70, l’ethnopsychiatre Tobie Nathan va remettre en cause cette belle résolution d’intériorité, non pas d’un point de vue idéologique, mais ce qui est peut-être pire, en termes d’efficacité :

« Les psychothérapies traditionnelles, en dissociant le sujet de ses symptômes, en attribuant la maladie à des êtres extérieurs, en exonérant le malade du poids de la responsabilité, font jouer des ressorts psychiques plus puissants que les pratiques modernes basées sur l’intériorisation de la maladie. »

Grâce aux chamans, exit notamment la culpabilisation du malade puisque la pathologie mentale vient de l’extérieur. Et, peu importe que cette dynamique soit vraie ou fausse, l’important est qu’elle pourrait être plus fonctionnelle que nos méthodes modernes. À partir de ce constat, en marchant dans les traces de Bertrand Méheust, on peut effectuer trois inférences :

« L’exo et l’endo ne sont que des conventions, des “systèmes de notation” de la vie psychique, et de ce fait, l’endo ne possède pas le privilège de représenter la science et la vérité que lui a conféré la pensée moderne ».

=> Le postulat fondateur de la modernité voulant que les phénomènes ne soient imputables qu’à l’humain n’est qu’un postulat. Il n’est ni plus vrai ni plus faux que celui consistant à penser que les fous sont possédés par des esprits, mais nous sommes habitués à le considérer comme absolument vrai.

« Ces systèmes de notation ont un effet réalisant, ils captent et organisent la vie psychique».

 => Comme dit un proverbe russe : dis à un homme qu’il est un cochon et il grognera. Les étalons psychologiques imposés aux individus par une culture ont tendance à modeler leurs psychismes.

« Les systèmes de notation fondés sur l’exo, sur bien des points, organisent la vie psychique d’une façon supérieure ».

=> La cuisine des sorciers marche mieux que celle des psys.

Si le propos de T. Nathan est à visée clinique, le but de B. Méheust dans le texte dont s’inspire cet article est de faire rebondir la réflexion en direction de la parapsychologie. En effet, si la critique de Tobie Nathan à l’encontre de la psychologie est valable, elle l’est peut-être également pour cette discipline qui s’est constituée parallèlement et grâce à une même dynamique d’intériorisation des phénomènes :

« Les thèses de Tobie Nathan questionnent aussi par rebond les présupposés et les méthodes de la parapsychologie. […] À force d’être affirmé depuis deux siècles, le privilège de l’endo a fini par devenir pour les parapsychologues le critère de la scientificité et de la vérité. On entre dans la modernité scientifique quand on rejette l’idée qu’une source extérieure informe le voyant. Or, si l’endo n’est qu’un système de notation, s’il n’est pas le critère de la rupture épistémologique et de la vérité, mais une “convention intériorisée », alors la vie psychique devient plus insaisissable que jamais, et les repères établis par les parapsychologues depuis un siècle sont à repenser ».

Melmothia 2007

[1] Les citations sont extraites de l’ouvrage de B. Méheust, 100 mots pour comprendre la Voyance, Les empêcheurs de penser en rond, 2005.

*

L'histoire de Saint Benedict par Spinello Aretino, 1387.
L’histoire de Saint Benedict par Spinello Aretino, 1387.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.