Croisades antisatanistes : l’Enfer du décor | Rat Holes

Le mythe sataniste

Voici un article, paru sur le site Agoravox en 2009, que son auteur Damien Perrotin, m’avait aimablement autorisée à reproduire sur Melmothia.net. J’espère qu’il ne s’offusquera pas que je le reprenne ici.

Source : Le mythe sataniste, par Damien Perrotin, mardi 26 mai 2009.

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Le rapport de la MIVILUDES sur les sectes vient de sortir et ses rédacteurs n’ont pu s’empêcher de consacrer un chapitre au satanisme. On ne leur en voudra pas trop, c’est dans l’air du temps. Le problème, c’est que ce qu’ils ont exposé c’est surtout leur ignorance du sujet. Il ne s’agit naturellement pas de se faire l’avocat du diable – ceux qui choisissent d’adorer le symbole du mal dans la culture occidentale n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils ne sont pas très populaires – mais de le prendre au sérieux et de le rejeter pour de bonnes raisons, pas parce qu’un prêtre romain nous dit de le faire.

D’abord le satanisme n’a rien à voire avec les néo-paganismes, que ce soit la Wicca, l’Asatru ou les différentes formes du néo-druidisme. Une grande partie des néopaïens considèrent le satanisme comme une hérésie chrétienne et refusent de s’y associer. Il n’a pas non plus de rapport particulier avec le Metal ou le Black Metal, même si les adeptes de ce genre de musique y font référence pour « choquer le bourgeois ». Le Black Metal est anti-chrétien mais on y trouve sans doute plus d’adorateur de Thor que de Satan. Enfin, les « sectes sataniques » dont les auteurs dresse la liste des crimes supposés appartiennent le plus souvent au fantasme – le mythe s’est très largement dégonflé aux États-Unis. Il existe bien sûr des criminels pour enrober leur forfaits d’une coloration « sataniste » mais cela relève plus de la psychiatrie que de l’étude des religions.

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Les dabblers

Faisons d’abord un sort à ce que les auteurs appellent les dabblers, sans visiblement trop comprendre à que point ce qualificatif est péjoratif et à quel point ils sont rejetés par les autres satanistes. Il s’agit pour l’essentiel d’adolescents en mal d’affirmation qui utilisent le satanisme pour choquer leurs parents et leur entourage – en général cela fonctionne assez bien. Leur philosophie est général très superficielle et se résume parfois à une simple excuse pour s’enivrer et se livrer à divers petits méfaits dont le principal intérêt est, là encore, de choquer le bourgeois.

Là plupart abandonneront le « satanisme » assez vite, se rangeront ou passeront à autre chose. Une minorité peut dériver vers la criminalité, comme le couple responsable de plusieurs incendies d’églises en Bretagne, mais cela reste très marginal et relève plus de la dérive individuelle que d’autre chose.

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Le satanisme athée : l’Église de Satan

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les membres de l’Église de Satan ne croient pas à Satan. L’organisation a été créée en 1966 par Anton Szandor LaVey. LaVey n’avait rien contre le fait de choquer le bourgeois, mais sa philosophie, exposée dans la Bible Satanique, parue en 1969 est un peu plus complexe.

LaVey et ses partisans considèrent Satan comme le symbole de leur individualisme et de leur hédonisme. Ils sont explicitement athées, même s’ils pratiquent la magie. L’Église de Satan est aujourd’hui dirigée par Peter H. Gilmore et Peggy Nadramia, ne recrute que des adultes et est pratiquement inexistante en France, même s’il existe certainement des partisans isolés de LaVey dans notre pays.

 L’Église de Satan n’a jamais été associée à des activités criminelles. Le problème viendrait plutôt de son credo ultra-individualiste, qui rejette explicitement toute forme de solidarité avec les membres les plus faibles de la société. L’idée selon laquelle chacun doit être entièrement responsable de ses propres actions, y compris dans leurs conséquences les plus extrêmes, est un porte ouverte au social-darwinisme, au libéralisme le plus débridé et à une société régie par la loi du plus fort. Même si le groupe en lui-même est « apolitique », la distinction faite entre les satanistes et le « troupeau » peut mener à un élitisme d’extrême-droite qui n’est pas sans rappeler celui d’un LaRouche, par exemple.

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Le Temple de Set

Le Temple de Set, créé en 1975 par Michael A. Aquino forme une sorte de passerelle entre le Satanisme version LaVey et les satanismes théistes. Issu de l’Église de Satan, le groupe en a gardé la philosophie mais considère que Satan n’est que l’incarnation moderne du dieu égyptien Set.

Le groupe, actuellement dirigé par Patricia Hardy, n’est donc pas athée, même si l’entité qu’il adore n’est pas le Satan de la mythologie judéo-chrétienne. Il a, par, ailleurs une structure initiatique qui rend difficile de connaître son fonctionnement interne. Naturellement son idéologie a la même prédisposition au droitisme dur – pour ne pas dire plus – que celle de l’Église de Satan.

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Les satanistes théistes

Les satanistes théistes sont ceux qui croient que Satan existe réellement. Le rapport de la MILIVUDES ne cite qu’une seule organisation, probablement défunte et peu représentative de l’espèce, l’Ordre des Neuf Angles, mais il en existe une myriade,représentant des positions théologiques – ou plutôt diablologiques – assez divergentes.

L’Ordre des Neuf Angles se présentait comme un représentant du « satanisme traditionnel », c’est à dire de l’adoration du Diable. Fondé dans les années 60 à partir de trois groupes plus anciens, il aurait récupéré par un certain Anton Long, qui selon le journaliste Rick Ryan serait le pseudonyme de l’activiste d’extrême-droite – depuis converti à l’Islam – David Myatt. L’intéressé nie naturellement avec énergie. Il est indéniable, cependant que l’organisation avait un discours néo-nazi enrobé dans une logomachie ultra-individualiste. Le groupe s’est fait connaître notamment en prônant les sacrifices humain et en théorisant les activités criminelles. Il est officiellement retourné dans la clandestinité et on peut sérieusement se poser la question de savoir s’il existe encore, ou même s’il a jamais existé en dehors de l’imagination d’Anton Long.

Dans un genre un peu différent, le groupe américain, Joy of Satan, s’est fait remarquer par ses références explicites à l’idéologie nazie et ses liens avec l’extrême-droite la plus radicale. Cela a d’ailleurs causés des remous chez certains suprémacistes blancs qui n’ont guère apprécié d’apprendre que leurs apprentis führers se livraient à des messes noires.

Les autres satanistes théistes, quoique tout aussi folkloriques, sont moins dangereux. Leur idée de la nature de l’être qu’ils adorent peut varier considérablement. On peut citer, par exemple :

  • les panthéistes qui voient dans Satan la personnification d’un principe cosmique, c’est notamment le cas de groupes comme la First Church of Satan.
  • Les polythéistes qui considèrent que Satan n’est qu’un dieu parmi d’autres, représentant les valeurs de l’individualisme, du changement et de l’affirmation de soi.
  • Les gnostiques ou lucifériens qui adorent le « porteur de lumière », champion de la liberté individuelle et qui souvent ne se considèrent pas comme satanistes.
  • Les chrétiens inversés, qui acceptent la théologie chrétienne mais choisissent l’autre camps

On peut aussi ajouter une curiosité française, la Wicca Lucifèrienne. La Wicca est une religion néopaïenne née dans les années 50 en Grande-Bretagne et qui compte aujourd’hui plusieurs millions d’adeptes. Elle n’a strictement rien à voire avec le satanisme. Une branche française, la Wicca Internationale – qui comme son nom le suggère ne fonctionnait qu’au Kremlin-Bicêtre – fondée par Jacques Coutelas et Diane Lucifera (oui, c’était un pseudonyme) – a cependant dégénéré en une sorte de secte démonolatre dont on ne sait pas très bien si ses fondateurs la considéraient sérieusement ou non. L’affaire, d’abord assez folklorique a finit tragiquement lorsque les deux dirigeants de secte se sont suicidés. Quelques groupes, souvent liés à l’extrême-droite, continuent à s’en réclamer, sous le regard effaré des Wiccans normaux.

Tous ces groupes sont extrêmement marginaux et ne méritent certainement pas l’attention que leur portent les autorités. Leur idéologie peut cependant mener à un mélange particulièrement baroque d’élitisme et de néo-libéralisme, voire même, sous couvert d’anticonformisme, au néo-nazisme le plus délirant. C’est dans ce domaine qu’ils peuvent représenter une menace.

Leurs chances de devenir autre chose que des groupuscules voués à une disparition plus ou moins rapide sont quasiment nulles, ne serait-ce que parce que le satanisme, sous ses différentes formes, est avant tout un anti-christianisme, une image inversée de la religion autrefois dominante. Au contraire de courants comme la Wicca, il est purement réactif. Cela peut cependant représenter un avantage pour certains courants intégristes ou conservateurs qui l’utiliseront comme épouvantail pour justifier la répression ou la stigmatisation de groupes qui, eux, peuvent, au moins potentiellement remettre en question l’ordre établi.

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