Salles Obscures vs Night Flier

Si je me permets de mettre en relation des choux et des sardines, à savoir un roman écrit dans les années 80 par un spécialiste des séries B et un téléfilm adapté d’une nouvelle de King, c’est que les deux me touchent pareillement la corde sensible, celle qui vibre quelque part entre la canine et la jugulaire. Voilà deux œuvres qui traitent de vampirisme, dans une optique a priori différente mais dans lesquels j’ose déceler une foule de points communs.

Le héros de Nightflier (Mark Pavia, 1997) est un paparazzi sur la pente descendante, prêt à vendre père et mère pour alimenter sa feuille charognarde. Entre « Elvis a été enlevé par les extraterrestres » et « une mère cannibale fait bouillir son bébé », notre journaliste s’offrirait bien le Night Flier, un mystérieux aviateur qui se pose sur de petits aéroports et fait le plein – à tous les sens du terme -, avant de repartir dans la nuit.

Et voilà que notre journaliste dont la maxime est « ne jamais écrire ce que l’on croit et ne jamais croire ce que l’on écrit », se met lui-même à croire. Jusqu’à succomber à la fascination, se prenant ainsi à l’hameçon qu’il réserve généralement aux lecteurs de son torchon : le désir de voir/savoir. « Montre moi ton visage », dit le paparazzi au monstre, ignorant qu’il réclame une épiphanie mortelle – mais on ne peut pas lui en vouloir, j’aurais fait pareil. Et ce que lui sert le vampire ne déparerait pas dans son journal. C’est décoratif comme tout.

Jamais un film, selon moi, n’a aussi bien joué avec la notion de cliché. Car du vampire on verra tout ce que l’on veut y voir et finalement rien du tout, tantôt beau, affreux, séduisant, repoussant, capé de rouge ou habillé en aviateur. Le vampire fait son show.

Et le journaliste me direz-vous ? Eh bien, il ne s’en remet pas très bien.

Salles Obscures est également une histoire d’image. Or l’image promet, mais l’image ne tient jamais. Dans le roman, elle plante ses crocs dans l’esprit du héros pour y placer un désir insatiable. Car il ne faut pas s’y tromper, même s’il mord à belles dents, le héros du roman n’est qu’un vampire par procuration. Le vrai vampire de l’histoire, c’est le film, un film de série B au titre ridicule de Gorges perforées, qui fait naître chez les spectateurs d’insatiables désirs sensuels et vampiriques : «Juste un film vu un après-midi à l’Eros, un vieux cinéma reconverti dans le X. Un film étrange qui, à première vue, n’avait rien de pornographique, où il ne se passait pas grand-chose, et dont je ne m’expliquais mal pourquoi il me fascinait autant »

Le reste du roman sera une quête du sens, la recherche du «comment je me suis fait avoir». Et la réponse est simple. Comme le paparazzi de Night Flier, le héros de Salles Obscures pourtant rôdé aux stratégies de la séduction visuelle puisqu’il travaille dans la publicité, tombe dans un piège dont il est connaît parfaitement les rouages :

« Peut-être était-ce la manière qu’avait le réalisateur de filmer le cou et la gorge de ses interprètes, ou ces ruptures soudaines d’images, comme si le projectionniste avait prélevé pour sa collection des extraits de certaines séquences ? »

Le voilà donc qui se met en quête de la copie originale. Comme dans toute bonne dialectique érotique, l’important n’étant pas ce que l’on montre, mais ce que l’on promet – ce qui fait courir les paparazzis et les fans de série B est simple comme Orphée se retournant pour voir Eurydice : l’idée qu’il y a quelque chose à voir au delà du masque.Or, petit problème : tout comme le monstre de Nightflyer n’est qu’une image toute puissante, les scènes coupées de Gorges Perforées n’ont jamais existé. Car il n’y a rien d’autre qu’un trou noir derrière le masque.

Melmothia, 2007

 

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